lundi 12 mai 2025

Donner sans reprendre

Sur cette terre volcanique, entre ciel bas et lumière immense, je marche. L’Islande m’accueille avec ses silences rugueux, ses vents francs et ses pierres qui ne cherchent pas à plaire. Ici, tout semble avoir été donné sans condition : l’eau qui jaillit, la chaleur du sol, les vastes étendues où rien ne s’impose. Et pourtant, tout y est reçu selon ses lois propres. Rien ne pousse là où on le voudrait, rien ne se plie aux désirs de l’étranger.

Je me rends compte que je suis venu ici chargé d’offrandes. Des paroles, des gestes, des élans de présence. J’ai offert des idées, des intentions, même des silences pensés comme soutiens. Mais certains de mes dons ont été modifiés, repris autrement, déplacés. Un regard qui se détourne, une réponse qui redéfinit, une absence d’écho.

Au début, cela me bouscule. Je me demande : est-ce moi qui donne mal? Est-ce eux qui ne savent pas recevoir? Puis je réalise… Il y a là un miroir.

L’Islande m’apprend que donner, c’est laisser partir. Que toute offrande contient en elle une épreuve de détachement. Quand je donne et que l’autre transforme, je suis appelé à écouter ce qui résiste, non comme un rejet, mais comme une forme d’honnêteté. Peut-être que je donne ce que je crois bon, mais pas ce dont l’autre a réellement besoin. Peut-être que je cherche, à mon insu, à provoquer un lien, un écho, une reconnaissance.

Alors je m’arrête, au bord d’une source chaude. Je respire. Je sens que je peux donner sans attacher. Je peux aussi recevoir l’inattendu : une main posée sur mon épaule, un mot venu du fond d’un accent inconnu, ou un simple souffle de vent qui me dit « laisse vivre ce que tu offres ».

Et je comprends, dans mon corps autant que dans mon cœur, que l’humilité du don, c’est aussi l’acceptation de sa transformation. Que le lien ne se tisse pas toujours dans la réciprocité directe, mais parfois dans l’espace laissé libre après que l’autre ait touché et transformé ce qu’on lui a remis

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