Le cadre comme point de bascule
Enseigner, c'est souvent transmettre dans un cadre. Mais que devient l'enseignement lorsque le cadre vacille, se fissure ou se déplace? Dans un monde en mutation, marqué par les incertitudes sociales, climatiques, technologiques et culturelles, il devient crucial de reconnaître que le cadre lui-même est mouvant. Pour faire face à l'inédit, il ne suffit pas de maîtriser les contenus : il faut apprendre à danser avec l'incertain. Enseigner devient alors un art du passage, une écoute active du présent.
Enseigner n'est pas figer, c'est habiter
Traditionnellement, l'enseignement repose sur des règles, des planifications, des objectifs d'apprentissage. Pourtant, la vie pédagogique réelle est ponctuée d'événements imprévus : une question qui déroute, une actualité bouleversante, un silence lourd de sens. C'est dans ces brèches que surgit l'inédit, et avec lui, une opportunité de faire de la classe un lieu de révélation plutôt que de reproduction.
Accepter que le cadre soit mouvant, c'est développer une pédagogie de la présence, de l'émergence, de l'ajustement. C'est passer d'un savoir à transmettre à un savoir à co-construire.
Une posture inspirée des approches critiques et transformatrices
Cette posture rejoint les courants de pédagogie critique (Paulo Freire, bell hooks), de pleine présence (Parker Palmer), d'écoute résonante (Hartmut Rosa), mais aussi d'accompagnement écosystémique et narratif. L'enseignant y devient éveilleur, passeur, facilitateur, gardien du sens.
Il ne détient pas la vérité, mais aide à la faire surgir. Il n'impose pas une méthode, mais ouvre un champ de possibilités. Il ne neutralise pas les tensions : il les accueille comme matériaux de travail, porteurs de sens.
Le risque comme matériau pédagogique
Dans ma propre pratique, ce sont les moments de fragilité assumée qui ont produit les apprentissages les plus vifs. Quand un.e étudiant.e ose dire sa colère. Quand un silence révèle une présence. Quand un plan de cours s'efface pour laisser place à l'écoute profonde.
Ces instants ne sont pas des écarts à corriger, mais des seuils à habiter. Ils demandent une qualité de présence, une conscience de soi et des autres, une capacité d'être touché sans être déstabilisé. À cet endroit, l'enseignement rejoint l'accompagnement : il devient soin du lien et soin du sens.
Quand le cadre se transforme en clairière
Je me souviens d'un cours où, à la suite d'un partage vulnérable, le groupe entier a basculé vers une qualité de dialogue imprévue. Nous n'étions plus dans le plan, mais dans le vivant. Le cadre s'était transformé en clairière. Nous étions ensemble en train d'apprendre, en état de vérité partagée.
Une pédagogie de la résonance et du vivant
Pour enseigner dans un monde en mouvement, il ne s'agit pas d'être moins compétent ou moins préparé, mais d'être plus réceptif, plus à l'écoute, plus humain. Face à l'inédit, il ne s'agit pas d'avoir raison, mais d'être juste. L'éducation devient alors un art de la présence, de la résonance, et du témoignage.