Aujourd’hui, je choisis de désapprendre un peu. Pour mieux voir ce qui cherche à naître.
Marquis
Accompagner en lien avec la vie. À l’Université Saint-Paul à Ottawa, là où je m’engage dans la dynamique du Centre sur le vieillissement, la communauté et l’épanouissement humain, je cultive une approche d’accompagnement écosystémique intégratif. Ce blog est un espace vivant de partage et de sens, où je dépose réflexions, expériences et inspirations pour nourrir une manière d’accompagner plus humaine, plus reliée, plus incarnée.
Le cadre comme point de bascule
Enseigner, c'est souvent transmettre dans un cadre. Mais que devient l'enseignement lorsque le cadre vacille, se fissure ou se déplace? Dans un monde en mutation, marqué par les incertitudes sociales, climatiques, technologiques et culturelles, il devient crucial de reconnaître que le cadre lui-même est mouvant. Pour faire face à l'inédit, il ne suffit pas de maîtriser les contenus : il faut apprendre à danser avec l'incertain. Enseigner devient alors un art du passage, une écoute active du présent.
Enseigner n'est pas figer, c'est habiter
Traditionnellement, l'enseignement repose sur des règles, des planifications, des objectifs d'apprentissage. Pourtant, la vie pédagogique réelle est ponctuée d'événements imprévus : une question qui déroute, une actualité bouleversante, un silence lourd de sens. C'est dans ces brèches que surgit l'inédit, et avec lui, une opportunité de faire de la classe un lieu de révélation plutôt que de reproduction.
Accepter que le cadre soit mouvant, c'est développer une pédagogie de la présence, de l'émergence, de l'ajustement. C'est passer d'un savoir à transmettre à un savoir à co-construire.
Une posture inspirée des approches critiques et transformatrices
Cette posture rejoint les courants de pédagogie critique (Paulo Freire, bell hooks), de pleine présence (Parker Palmer), d'écoute résonante (Hartmut Rosa), mais aussi d'accompagnement écosystémique et narratif. L'enseignant y devient éveilleur, passeur, facilitateur, gardien du sens.
Il ne détient pas la vérité, mais aide à la faire surgir. Il n'impose pas une méthode, mais ouvre un champ de possibilités. Il ne neutralise pas les tensions : il les accueille comme matériaux de travail, porteurs de sens.
Le risque comme matériau pédagogique
Dans ma propre pratique, ce sont les moments de fragilité assumée qui ont produit les apprentissages les plus vifs. Quand un.e étudiant.e ose dire sa colère. Quand un silence révèle une présence. Quand un plan de cours s'efface pour laisser place à l'écoute profonde.
Ces instants ne sont pas des écarts à corriger, mais des seuils à habiter. Ils demandent une qualité de présence, une conscience de soi et des autres, une capacité d'être touché sans être déstabilisé. À cet endroit, l'enseignement rejoint l'accompagnement : il devient soin du lien et soin du sens.
Quand le cadre se transforme en clairière
Je me souviens d'un cours où, à la suite d'un partage vulnérable, le groupe entier a basculé vers une qualité de dialogue imprévue. Nous n'étions plus dans le plan, mais dans le vivant. Le cadre s'était transformé en clairière. Nous étions ensemble en train d'apprendre, en état de vérité partagée.
Une pédagogie de la résonance et du vivant
Pour enseigner dans un monde en mouvement, il ne s'agit pas d'être moins compétent ou moins préparé, mais d'être plus réceptif, plus à l'écoute, plus humain. Face à l'inédit, il ne s'agit pas d'avoir raison, mais d'être juste. L'éducation devient alors un art de la présence, de la résonance, et du témoignage.
Je vivais alors une forme de nomadisme spirituel et existentiel. Avant de m’établir à Gatineau-Ottawa, j’étais ce marcheur des traversées, en quête d’un lieu d’enracinement, pas seulement une adresse, mais un paysage intérieur à retrouver dans la nature. Je rêvais de m’installer près de l’eau et des arbres, ces deux archétypes vivants de fluidité et de profondeur. Je cherchais une terre où le silence aurait le goût des feuilles et des pierres, un lieu d’accueil pour mes propres questions, un abri pour mes pratiques, un port pour mon feu intérieur.
C’est dans cette disposition intérieure que je découvre une proximité avec la figure de Saint Paul, lui aussi un marcheur infatigable, un homme de la Parole en déplacement. Non pas errant, mais envoyé. Non pas fixé, mais fécond dans ses allers-retours entre les communautés, les cultures, les langues. Comme les philosophes itinérants de la Grèce ancienne, Paul allait à la rencontre du monde avec une parole nue, vulnérable, mais portée par un souffle plus grand. Il incarnait une tension féconde entre enracinement et mouvement, entre fidélité à une voix intérieure et accueil de ce qui vient.
Aujourd’hui encore, je me reconnais dans ce double élan : marcher pour entendre, s’enraciner pour transmettre. Le philosophe que l’on nommait alors n’a pas disparu. Il s’est peut-être simplement rapproché de son propre rivage.
Je sais ce que je devrais faire. Ma tête le comprend. J’ai lu, j’ai écouté, j’ai réfléchi. Mais malgré tout cela, je continue parfois à agir comme avant.
Pourquoi?
Parce que comprendre avec la tête ne suffit pas toujours. Le cœur, lui, a besoin de temps. Et le corps, lui, garde les vieilles habitudes, même quand on veut changer.
Alors j’essaie autre chose. J’écoute ce que je ressens. Ce qui fait peur, ce qui fait mal, ce qui rêve encore. Et petit à petit, je sens un changement.
Changer, ce n’est pas seulement savoir quoi faire. C’est quand ce que je sais touche mon cœur, et que je suis prêt à m’aimer un peu plus. C’est là que tout peut commencer.
Athènes m’a offert son chaos lumineux, ses temples de marbre et ses ruelles bruissantes. J’y ai entendu la voix de Socrate, non pas dans les discours, mais dans les silences entre les mots : « Connais-toi toi-même ». Il ne s’agissait pas de comprendre, mais d’écouter. De laisser le rationnel s’incliner devant l’expérience.
À Delphes, ce ne fut pas un message clair, mais un frisson. Le genre de frisson qui réveille la mémoire de l'âme. Je ne suis pas reparti avec des réponses, mais avec une certitude tranquille : celle d'être sur le bon chemin. Il ne s’agit plus pour moi d’atteindre un sommet, mais d’entretenir un feu.
J’ai aussi marché à Corinthe, et dans l’intime compagnonnage avec Michel, j’ai goûté à une forme de pèlerinage moderne, où le sac à dos est plein de questions et les routes bordées de symboles. Les lettres de Paul aux premières communautés résonnent différemment quand on les lit sur les lieux mêmes de leur envoi. Ce n’est plus une lecture théologique. C’est un dialogue d’homme à homme, de foi à foi, de vulnérabilité à courage.
Ce voyage, je l’ai vécu comme un passage. Un rituel silencieux de transformation. Il n’y a pas eu de grands événements. Mais dans le quotidien du marcheur, dans les gestes simples et les respirations partagées, j’ai senti une résonance profonde entre le dehors et le dedans.
Ce que je ramène de la Grèce, c’est peut-être cela : une manière nouvelle d’habiter mes questions, de goûter au mystère sans le forcer. D’accueillir les enseignements non comme des vérités à transmettre, mais comme des invitations à être.
C’est dans ce sens que mon séjour en Grèce n’était pas un voyage, mais une offrande. Une offrande que je reçois, et que je choisis maintenant de partager, pour celles et ceux qui, comme moi, avancent de question en silence, et de silence en confiance.
L’abeille qui butine de fleur en fleur sait-elle qu’elle est en train de faire du miel? Sans doute pas. Elle suit simplement l’élan de sa nature, répond à l’appel des couleurs, des parfums, de la vie qui l’entoure. Et pourtant, de ses allers-retours patients naît un trésor, le miel, fruit d’une collaboration invisible entre elle, les fleurs et la ruche.
Cette image me touche profondément. Elle nous rappelle que, tout comme l’abeille, nous tissons du sens et de la guérison sans toujours le savoir, à travers nos relations, nos gestes quotidiens, nos engagements. Chacune de nos rencontres est une fleur visitée. Chaque attention, chaque parole bienveillante est un grain de pollen qui se transforme, un jour, en douceur partagée.
En marchant humblement sur notre chemin, nous participons à une œuvre qui nous dépasse. Et peut-être est-ce là, comme le dirait Lewis Mehl-Madrona, la plus belle médecine : celle qui se révèle dans la réciprocité du lien et l’alchimie de la relation.