samedi 29 novembre 2025

Être un homme qui entend la douleur des femmes

Il existe des passages dans la vie intérieure d’un homme qui ne ressemblent à rien d’autre. Ce ne sont pas des moments de compréhension intellectuelle ni des gestes de bonne volonté.
Ce sont des ouvertures silencieuses.
Des tremblements doux.
Des révélations qui ne viennent pas de l’esprit, mais de la mémoire profonde, celle qui se transmet d’une génération à l’autre.

 

Entendre la douleur des femmes n’est pas une compétence.
Ce n’est pas une posture bienveillante.
Ce n’est pas une empathie professionnelle.
C’est un mouvement de l’être.
Un glissement intérieur où l’on cesse de recevoir les paroles des femmes de l’extérieur, et où l’on commence à les entendre depuis un lieu intime, un lieu qui nous relie à elles.

 

Un homme ne peut réellement entendre la douleur des femmes que s’il a touché la sienne. Non pas la douleur masculine, mais la douleur des femmes de sa propre lignée.
Celle qu’il a vue sans comprendre.
Celle qu’il a héritée sans savoir.
Celle qu’il a pressentie sans nommer.

 

Il faut parfois qu’une image se réveille, qu’un souvenir remonte, qu’un fil invisible se révèle pour que cette écoute devienne possible.

 

Lorsque l’homme ouvre cet espace en lui, il ne se sent ni coupable ni accusé.
Il se sent relié.

 

Relié à sa mère qui a parlé quand personne n’osait.
Relié à sa marraine qui s’est tue jusqu’à mourir du poids de ce silence.
Relié aux femmes de sa famille qui ont porté la violence sous des formes différentes.
Relié à l’histoire transgénérationnelle que personne n’avait nommée.

 

Alors les paroles des femmes cessent d’être générales.
Elles deviennent personnelles.
Elles deviennent vraies.
Elles deviennent proches.

Entendre la douleur des femmes, c’est reconnaître les traces de cette douleur dans sa propre histoire. C’est voir que la souffrance exprimée dans les Cercles de Pardon n’est pas un discours contre les hommes, mais une mémoire qui cherche enfin un lieu pour se déposer.
C’est sentir que cette mémoire n’est pas étrangère.
Elle traverse le sang, les récits, les blessures, les silences.

 

Être un homme qui entend la douleur des femmes, c’est accepter de ne pas se défendre.
C’est accepter de ne pas expliquer.
C’est accepter de ne pas se justifier.
C’est offrir une présence qui accueille sans vouloir réparer trop vite.
C’est devenir un espace fiable, une respiration, une terre où les mots peuvent se poser.

 

Ce n’est pas se diminuer.
C’est s’agrandir.
C’est devenir plus humain.

 

Dans cette écoute, l’homme découvre une nouvelle forme de paix.
Une paix née de la vérité reconnue.
Une paix née de la mémoire reliée.
Une paix née du fait qu’il porte désormais un rôle de témoin, un rôle de lien, un rôle de guérison douce.

 

Être un homme qui entend la douleur des femmes, c’est devenir un passage.
Un passage entre les générations qui ont souffert et celles qui espèrent.
Un passage entre le silence et la parole.
Un passage entre ce qui n’a pas été dit et ce qui peut enfin se dire.
Un passage entre la souffrance ancienne et la possibilité d’un avenir plus libre.

 

C’est une vocation discrète.
Une mission silencieuse.
Un signe de maturité spirituelle.
Et une manière, peut-être, de rendre hommage aux femmes qui n’ont jamais pu être entendues, aux femmes qui n’ont jamais pu vivre leur vérité, aux femmes qui ont porté en elles un poids que vous êtes aujourd’hui capable de regarder avec respect.

 

Être un homme qui entend la douleur des femmes, c’est honorer la vie.
Et c’est, au fond, une manière de pardonner à l’histoire elle-même.

L’écoute qui ouvre la voie à la participation intérieure

 

Il arrive, dans le cœur d’une rencontre, un moment qui échappe aux stratégies, aux méthodes et aux intentions bien organisées. Un moment où l’on cesse d’essayer de guider l’autre vers une compréhension ou un résultat. Un moment où la relation demande simplicité, vérité et présence.

C’est ce qui s’est présenté récemment avec une étudiante qui résistait de toutes ses forces à l’idée du travail final. Elle argumentait, se contractait, se retirait intérieurement. Et dans cette tension discrète, j’ai senti en moi s’ouvrir un passage plus calme, plus vrai.

Je me suis entendu lui dire :
Je ne suis pas ici pour te convaincre. Je suis ici pour t’écouter. Et toi, qu’as-tu à offrir en retour ?

Cette parole n’était pas préparée. Elle n’avait rien d’un principe à appliquer. Elle venait de cette partie de l’accompagnement où l’on ne transmet plus un contenu, mais une manière d’habiter la relation.

En posant ces mots, quelque chose s’est apaisé. La résistance s’est relâchée. La tension s’est transformée en présence. Nous n’étions plus dans un rapport professeur étudiante, mais dans un espace de réciprocité humaine.

Cette question, qu’as-tu à offrir, n’est pas un reproche. C’est une invitation. Elle rappelle que toute relation se construit à deux. Que chacun porte une part du chemin. Que l’apprentissage ne vient pas de ce que l’on reçoit seulement, mais aussi de ce que l’on ose déposer.

Dans ces moments, je me rappelle que l’essence de l’accompagnement réside moins dans ce que je dis que dans ce que j’appelle chez l’autre. Liberté, responsabilité, courage d’être, capacité d’offrir quelque chose de soi.

Accompagner, ce n’est pas convaincre. C’est ouvrir un espace où l’autre peut se reconnaître acteur et participante de la relation. C’est souvent là que naît le véritable mouvement.

vendredi 28 novembre 2025

L'audace tranquille

 

À la fin de novembre, quand les journées deviennent plus courtes et que la lumière se fait rare, nous entrons dans un moment plus calme, presque intime. C’est souvent dans ces périodes plus silencieuses que nous pouvons entendre une petite invitation intérieure: celle d’être audacieux.

Être audacieux ne veut pas dire accomplir de grands exploits ni faire des gestes impressionnants. Il ne s’agit pas de briller ou de se pousser jusqu’au bout de nos forces. L’audace dont il est question ici est beaucoup plus simple. C’est un petit mouvement intérieur, un pas modeste mais important, qui nous invite à sortir du connu et du trop confortable.

Être audacieux, c’est accepter d’élargir un peu notre liberté. C’est respirer un peu plus profondément. C’est dire un peu plus vrai. C’est un geste de cohérence avec ce que nous portons en nous, même si cela demande un certain courage.

À l’approche du Temps des Fêtes, cette audace peut se vivre dans de petits choix:
– dire oui à ce qui nous fait du bien
– dire non à ce qui nous fatigue
– faire un geste qui nous ressemble
– tendre la main
– pardonner un peu
– écouter davantage
– se parler à soi-même avec douceur

L’audace n’est pas un geste contre quelqu’un. C’est un geste pour la vie qui nous traverse. Elle apparaît lorsque nous acceptons d’être honnêtes avec ce que nous ressentons, lorsque nous nommons ce qui compte pour nous, lorsque nous avançons malgré la petite peur qui murmure.

Être audacieux, ce n’est pas être invincible. C’est reconnaître nos fragilités et avancer quand même, avec respect et lucidité.

Peut-être que pour toi, aujourd’hui, l’audace sera une parole sincère à offrir. Peut-être un silence à respecter. Peut-être le premier pas vers quelque chose qui t’appelle depuis longtemps.

En cette fin de novembre, l’audace n’a rien de spectaculaire. Elle est un signe de fidélité envers soi-même. Une façon simple de dire: je choisis encore d’avancer.

jeudi 27 novembre 2025

La crise comme métamorphose silencieuse

Il arrive qu’un conflit ou une tension donne l’impression que tout s’effondre. On voudrait régler vite, retrouver l’équilibre, soulager l’inconfort. Pourtant, certaines crises ne sont pas là pour disparaître, mais pour révéler ce qui devait être vu depuis longtemps.

Quand un système comme une équipe, une organisation ou un partenariat s’arrête soudainement, ce n’est pas toujours un blocage. C’est parfois une transformation silencieuse qui commence. Une manière pour le vivant de réorganiser ce qui doit changer en profondeur.

Chercher à réparer trop vite peut nous ramener au même point. Prendre le temps d’écouter ce que la crise tente de dire ouvre la voie à une maturité nouvelle.

Ce que nous appelons crise est souvent une métamorphose en train de naître.

mercredi 26 novembre 2025

La justesse du pas


Il m’arrive souvent de constater que nous pouvons facilement rester dans nos intentions. Nous voulons aider, transformer, soutenir, mais nous demeurons immobiles. Lorsque nous nous engageons sans agir, quelque chose se perd. L’engagement devient une idée au lieu d’un mouvement réel.

À l’inverse, nous pouvons aussi agir sans être vraiment engagés. Nous faisons des gestes rapides, efficaces, mais qui manquent de présence. Ils ne changent rien, ni pour nous ni pour les autres. Ils ne viennent pas du cœur. Ils ne viennent pas de cette zone intérieure où l’on sent ce qui est vraiment juste.

Entre ces deux extrêmes, vous et moi sommes invités à chercher un chemin. Ce chemin demande de relier l’engagement et l’action. Cela demande d’écouter la situation, de regarder ce qui vit devant nous et de nous demander: qu’est-ce qui est juste maintenant? Est-ce le moment d’agir ou le moment de demeurer présent, en silence, pour laisser l’autre respirer et se déposer?

Dans l’accompagnement, cette recherche est essentielle. Parfois la vie nous appelle à poser un geste clair, à dire un mot, à offrir une présence stable. D’autres fois, elle nous demande de ralentir, de laisser le mouvement venir de l’autre, ou même de la relation elle-même. Dans ces moments, l’action devient lente et tranquille. Elle ressemble à une veille plutôt qu’à une intervention.

Je crois profondément que l’essence de l’accompagnement se trouve ici. Œuvrer là où la vie nous appelle. Avancer avec justesse. Rester engagé même lorsque rien ne semble bouger. Vous connaissez peut-être ces moments où l’on ne fait presque rien et où pourtant tout change, simplement parce qu’on est resté présent.

C’est une marche. Une marche humble, attentive, qui nous rappelle que chaque pas compte, même les plus discrets.

mardi 25 novembre 2025

Le chemin tranquille de la réceptivité


Un ancien guérisseur aimait dire que la réceptivité n’est pas un talent, mais un chemin que l’on apprend à marcher. Il racontait que, dans son peuple, on ne jugeait jamais quelqu’un dont le cœur restait fermé. On savait simplement que la personne avait vécu quelque chose de difficile et qu’elle avait besoin de temps pour retrouver confiance.

Il disait souvent : « Ne te blâme pas quand tu n’arrives pas à être réceptif. Ton cœur essaie seulement de se protéger. Laisse-lui le temps de respirer. »

Pour lui, être réceptif, c’était comme apprendre à écouter les histoires que la nature raconte. Cela demande du courage, mais un courage tranquille. Il faut oser accueillir ce qui nous dérange, ce qui nous touche, ce qui nous appelle. On ne force rien. On s’ouvre doucement, comme une porte que l’on entrebâille pour laisser entrer un peu plus de lumière.

Il expliquait aussi que pour ouvrir son cœur, il faut de la douceur. La douceur, disait-il, est une forme de force. Elle nous aide à respecter nos limites, à reconnaître notre fatigue et à avancer à notre propre rythme. « Un cœur qui s’ouvre trop vite peut se briser. Un cœur qui s’ouvre au bon moment peut guérir beaucoup plus que lui-même. »

Dans sa tradition, être réceptif, c’était un engagement. Un choix quotidien : laisser une petite place en soi pour que la relation avec l’autre, avec la vie, devienne possible. Cela pouvait être un regard, un silence, un mot, une histoire. Tout commence par une porte intérieure que l’on accepte d’ouvrir.

Il disait souvent : « Chaque jour, demande-toi : qu’est-ce que j’ai laissé entrer en moi aujourd’hui? Quelle histoire ai-je accepté d’écouter? »

Selon lui, la vraie rencontre commence quand on donne une place à ce que l’autre vit, même si c’est différent de nous. Quand on accepte que la relation nous transforme un peu.

« La réceptivité, ajoutait-il, n’est pas seulement une manière d’écouter. C’est une manière de vivre. C’est une manière d’aimer. »

Et c’est dans ce mouvement, disait-il, que l’on découvre une vraie maturité intérieure : celle qui accueille au lieu de juger, celle qui écoute au lieu de contrôler, celle qui laisse la vie circuler au lieu de la retenir.

lundi 24 novembre 2025

Le moment où la relation devient le véritable lieu d’apprentissage

 

Hier, à la fin du cours sur l’écoute, quelque chose de profond s’est ouvert. Les témoignages des étudiant.es n’étaient pas de simples rétroactions. C’étaient des confidences humaines, des fragments de vécu qui révélaient une soif relationnelle bien plus vaste que ce que les cours universitaires permettent habituellement. J’ai été profondément ému, touché à cet endroit où l’on reconnaît que la relation n’est pas un supplément à l’enseignement, mais son véritable cœur.

En les écoutant, j’ai pris conscience que plusieurs étudiant.es n’ont presque jamais développé de relation humaine avec leurs enseignant.es. Ils et elles connaissent les rôles, les responsabilités, les expertises. Mais ils et elles rencontrent rarement la présence, la posture, la disponibilité intérieure qui permettent à l’enseignement de devenir une expérience vivante. Pour plusieurs, c’était la première fois qu’un cours devenait un espace où l’humanité circule librement, où un professeur se présente dans une posture d’écoute authentique, où la relation prend toute sa place.

Cela m’a rappelé à quel point notre système éducatif, avec ses logiques de performance, de contenu et d’évaluation, laisse souvent peu d’espace à la rencontre. Les étudiant.es ont soif d’une pédagogie qui reconnaît leurs expériences, leur sensibilité, leurs histoires. Ils et elles ont besoin de sentir qu’ils et elles ne sont pas seulement des destinataires de savoirs, mais des sujets en cheminement, des êtres en relation, des participant.es à un espace vivant qui les accueille.

Quand un.e étudiant.e témoigne qu’il ou elle s’est senti.e vu.e, entendu.e ou reconnu.e pour la première fois dans un contexte universitaire, ce n’est pas un simple compliment. C’est un signal. Un rappel qu’il manque encore, dans nos institutions, des espaces où la relation peut s’ouvrir sans crainte ni performance. Et c’est aussi une invitation : continuer à créer des environnements d’apprentissage où la posture compte autant que le contenu, où la présence précède la technique, où l’écoute devient un geste de reconnaissance.

Ce moment m’a confirmé que l’enseignement, lorsqu’il est habité par une écoute réelle, devient parfois un lieu de guérison des fractures subtiles que plusieurs étudiant.es portent en elles et en eux. Fractures héritées de parcours scolaires où la personne a été évaluée, encadrée, dirigée, mais rarement rencontrée. Hier, j’ai mieux compris que ce que les étudiant.es retiennent le plus de mes cours n’est pas la théorie, mais la qualité du lien, l’espace où ils et elles ont pu respirer, se dire, se découvrir autrement.

L’écoute n’est pas seulement un contenu à enseigner. C’est une manière d’habiter sa présence d’enseignant. Une manière de reconnaître l’autre dans sa dignité. Une manière d’affirmer que l’éducation prend racine là où l’humain rencontre l’humain.

Le soin se vit dans la relation

 

Prendre soin n’est jamais un geste automatique. C’est une rencontre. Une présence. Un engagement intérieur par lequel on accepte réellement d’être avec l’autre. Dans le quotidien de l’accompagnement, je vois à quel point la relation fait toute la différence. Les protocoles rassurent, mais ce sont les gestes vivants qui transforment : un regard qui accueille, une écoute qui s’ouvre, une parole simple qui allège ce qui pèse. Le soin se révèle dans cette manière d’être disponible, d’habiter l’instant sans se cacher derrière la procédure. Là où la relation circule librement, le soin devient un acte profondément humain, vibrant, presque créateur. C’est là que l’autre se sent reconnu, résonant, existant.

samedi 22 novembre 2025

La tyranie de la ligne droite

 


La ligne droite rassure. Elle avance sans hésitation. Elle fixe un début, une fin, un trajet prévu entre les deux. Dans les institutions, elle est souvent célébrée comme une forme d’efficacité. On croit que cela va plus vite, que cela clarifie, que cela simplifie. Et pourtant, dans bien des espaces humains, la ligne droite peut devenir une tyrannie subtile.

J’ai vu des rencontres où la vie était là, prête à émerger, où la spirale avait commencé à s’ouvrir. Une question sincère. Une respiration partagée. Un début d’intuition qui cherchait à prendre forme. Puis, tout à coup, la ligne droite reprend ses droits. Une voix plus rigide. Un agenda trop serré. Une urgence qui n’en est pas une. Une dynamique hiérarchique qui se glisse dans l’espace. Et le vivant se rétracte.

La tyrannie de la ligne droite n’a rien de spectaculaire. Elle est douce, polie, presque invisible. Elle se manifeste par des transitions rapides, des choix de mots, des gestes minuscules. Elle ferme ce qui aurait pu s’ouvrir. Elle impose une direction quand une exploration aurait été nécessaire. Elle coupe court à ce qui demandait du temps. Elle réduit ce qui était en train de se déployer.

Je sens cette fermeture dans mon corps. Comme un coup sec dans le ventre. Comme une contraction. Comme un appel à me retirer pour me protéger. Le champ relationnel se durcit, la parole se fait prudente, la respiration se raccourcit. La rencontre n’est plus un lieu de transformation. Elle redevient un couloir.

Accompagner, c’est apprendre à reconnaître quand la ligne droite devient une tyrannie. C’est sentir le moment où le vivant cesse de circuler. C’est accepter que certaines structures ne peuvent pas encore accueillir la spirale. Et c’est pourtant garder la spirale vivante en soi.

Il ne s’agit pas de renverser la ligne. Il s’agit de ne pas lui abandonner notre présence. La spirale peut continuer de respirer même au cœur de la rigidité. Elle peut se manifester par un silence attentif, par une question ouverte, par un regard qui relie, par un geste simple qui invite à revenir vers ce qui est vrai.

La tyrannie de la ligne droite n’est pas invincible. Elle se dissout dès que quelqu’un ose incarner la courbe du vivant. Ce n’est pas toujours visible. Ce n’est pas toujours entendu. Mais c’est ressenti. Et parfois, cela suffit pour redonner un peu de souffle à l’espace.

Accompagner, c’est devenir ce souffle. Celui qui rappelle que la vie ne se déplace pas en ligne droite. Elle tourne. Elle revient. Elle s’ouvre. Elle explore. Elle respire. Et elle se réinvente sans cesse.

vendredi 21 novembre 2025

Apprendre ensemble, grandir ensemble

 

Apprendre dans un espace collectif, c’est découvrir que nos trajectoires ne sont jamais isolées et que la croissance de chacun dépend en partie de celle des autres. Dans mes cours, j’observe chaque semaine comment la présence, les récits et les gestes de l’un viennent éclairer ou apaiser ceux des autres, créant un mouvement commun où l’individuel et le collectif se nourrissent mutuellement. Ce qui se transforme en une personne ouvre souvent une possibilité nouvelle pour tout le groupe, et ce que le groupe porte avec bienveillance permet à chacun d’aller un peu plus loin dans sa propre compréhension de lui-même. C’est dans cette dynamique vivante que j’ancre de plus en plus mon enseignement : un lieu où l’on progresse ensemble, dans une réciprocité silencieuse mais profondément formatrice.

jeudi 20 novembre 2025

Sur la mémoire qui me porte

 

Il existe en moi une mémoire qui ne s’efface pas. Une mémoire tissée d’expériences, de blessures traversées, de rencontres fondatrices. C’est elle qui soutient mon engagement.

Elle me rappelle chaque jour que mon rôle n’est pas de diriger, mais d’ouvrir.
Pas de convaincre, mais de rendre possible.
Pas de porter les autres, mais de créer des espaces où ils peuvent se porter eux-mêmes.

Avec le temps, j’ai compris que mon engagement n’est pas une fonction.
C’est une fidélité.
Une orientation du cœur.
Une manière d’habiter les passages humains avec simplicité, résonance et intégrité.

Et tant que cette mémoire vivra en moi, je saurai où marcher.

mercredi 19 novembre 2025

Aller au-delà du “j’aime” et “je n’aime pas”

 

Nous passons une grande partie de nos journées à classer la réalité : j’aimeje n’aime pas. Nous le faisons presque sans y penser, comme un réflexe ancien qui colore chaque rencontre, chaque événement, chaque situation. Ce tri constant nous rassure, nous donne l’impression de maîtriser le monde. Mais il nous emprisonne aussi dans une vision étroite, centrée sur nos préférences plutôt que sur ce qui est réellement là.

Aller au-delà du j’aime et du je n’aime pas, c’est apprendre une tout autre manière de regarder. C’est accepter de rencontrer le réel avant de le juger. C’est laisser tomber, ne serait-ce qu’un instant, cette habitude de mesurer les choses à l’aune de nos désirs et de nos aversions. Cette démarche ne nie pas nos émotions ; elle les remet simplement à leur juste place. Elle nous demande de percevoir avant de réagir, d’accueillir avant de sélectionner.

Dans l’accompagnement, cette capacité est essentielle. Si je n’écoute l’autre qu’à travers ce qui me plaît ou me dérange, je n’écoute pas vraiment. Je ramène tout à moi. Je perds la subtilité du vécu de l’autre, la vérité intime qui cherche à se dire à travers sa parole, son silence ou sa fatigue. Sortir du j’aime / je n’aime pas, c’est faire de la place pour l’autre. C’est laisser la relation devenir un espace de présence plutôt qu’une scène où se projettent mes préférences.

Ce dépassement n’est pas une discipline froide ou rigide. C’est un geste de tendresse pour la réalité. Car lorsque nous cessons de classer le monde, il devient plus vaste. Les nuances apparaissent. Les zones grises deviennent des lieux d’apprentissage. Les situations difficiles cessent d’être des ennemies et deviennent des occasions de se connaître autrement.

Et quelque chose en nous s’apaise. Nous découvrons que le réel n’a pas besoin d’être aimé pour être vrai, ni d’être repoussé pour être transformé. Il suffit de le voir. De s’y tenir. D’y entrer avec un regard nu. Alors le monde cesse d’être un champ de bataille entre ce que nous voulons et ce qui arrive. Il devient un terrain d’écoute, de maturation et de discernement.

Aller au-delà du j’aime et du je n’aime pas, c’est finalement une manière d’habiter la vie avec plus de liberté. Une liberté qui ne nous arrache pas à nos émotions, mais qui nous permet de ne plus en être les otages. Une liberté qui ouvre la voie à une présence plus fine, plus stable, plus humaine.

Et peut-être est-ce là l’un des apprentissages silencieux de l’existence : voir la vie telle qu’elle est, sans la forcer à entrer dans les cadres étroits de nos préférences. La rencontrer avec assez d’espace intérieur pour la laisser être et nous transformer.

lundi 17 novembre 2025

Le feu qui éclaire et celui qui réchauffe

 

Ce matin, en regardant la flamme danser dans le foyer, une question s’est invitée en moi : qu’éclaire-t-on quand on allume le feu ? Et surtout, quel feu choisit-on d’allumer ?

Il y a le feu qui brûle, celui qui éclate, qui veut dire vrai sans détour, qui consume les illusions comme les fragilités. Il éclaire, certes, mais au prix parfois de ce qui ne peut pas encore se dire ou se tenir en lumière. Dans nos relations, ce feu devient celui de la parole tranchante, de la lucidité sans tendresse, de l’intelligence qui veut tout comprendre avant d’avoir écouté.

Et puis il y a le feu qui réchauffe, le feu du foyer, celui autour duquel on se rassemble. Il éclaire lui aussi, mais avec une douceur habitée, une lumière qui ne blesse pas. Son éclat est moins pressant, mais sa chaleur pénètre en profondeur. Il ne cherche pas à imposer une vérité, il accompagne un chemin. Il laisse la transformation émerger à son rythme, sans violence.

Dans nos pratiques d’écoute, d’enseignement ou de leadership, nous avons ce choix intime : voulons-nous brûler ou réchauffer ? Faire parler la lumière ou laisser la chaleur faire son œuvre ?

Éclairer avec un feu qui réchauffe, c’est croire que ce qui se passe à l’intérieur de l’autre est aussi précieux que ce que nous pouvons lui apporter. C’est exercer une présence qui enveloppe les blessures au lieu de les exposer. C’est préférer la lenteur de la confiance à la précipitation de la réponse.

Ce matin, je choisis d’allumer un feu qui rassemble. Un feu qui invite. Un feu qui crée un espace de présence où le courage peut naître, sans être forcé. Un feu qui réchauffe les mains tendues et éclaire juste assez pour que le chemin se révèle, pas à pas.

dimanche 16 novembre 2025

Regard sur l’accompagnement : Redevenir des êtres réceptifs

 

Hier, lors d’un atelier d’écoute et d’accompagnement que j’ai coanimé avec Bianca au Centre de protection des mineurs et des personnes vulnérables de l’Université Saint-Paul, nous étions une trentaine à nous rassembler. Des accompagnant.es de différents pays, de différentes cultures, mais unis par un même engagement : tenir un espace pour celles et ceux qui ont été blessés dans leur confiance, leur corps, leur dignité. L’enjeu était immense, le contexte exigeant. Et pourtant, c’est une simple invitation qui a ouvert le chemin : redevenir des êtres réceptifs.

Cette réceptivité n’a rien d’une fuite. Elle est le contraire de la passivité. Elle est une posture courageuse qui consiste à ne pas vouloir tout maîtriser, tout expliquer, tout réparer trop vite. Elle est une manière d’habiter la relation autrement, avec justesse, écoute et résonance. Elle demande de faire silence à l’intérieur pour que quelque chose de plus vrai puisse émerger. Elle nous ramène à ce lieu subtil où l’accompagnement devient présence plutôt que solution.

Au fil de l’atelier, les corps se sont déposés, les mots se sont faits plus vrais, plus simples. Nous avons accueilli des silences, des hésitations, des émotions contenues. Nous avons senti la fragilité des histoires évoquées, mais aussi leur force de vie. Certains ont parlé de leur pays, d’autres de leur peur de mal faire. Et pourtant, ce qui dominait, c’était la confiance qu’un autre type de lien est possible : un lien qui ne répare pas en imposant, mais qui guérit en accompagnant.

Accompagner, dans ces contextes douloureux, c’est accepter d’être soi-même affecté. D’être déstabilisé. D’être vulnérable. Notre dignité se joue là : dans la manière dont nous nous laissons toucher sans être emportés, dont nous restons présents sans nous refermer. Redevenir des êtres réceptifs, c’est croire que l’essentiel se reçoit avant de se penser. C’est reconnaître que l’autre ne se tient pas devant nous comme un problème à résoudre, mais comme une vie à accueillir.

Il y a des jours où je me dis que le rôle de l’accompagnant n’est pas tant de savoir que d’écouter. Non pas d’être l’origine, mais la résonance. Et que, dans cette posture, un espace peut s’ouvrir où la dignité blessée trouve à se redresser autrement.

Que cette voix intérieure, celle qui sait recevoir avant de vouloir donner, continue de nous inspirer.

vendredi 14 novembre 2025

Oser la parole qui rapproche

 

L’autre matin, en échangeant avec un collègue, une question m’a échappé. Pourquoi est-ce plus facile d’envoyer promener quelqu’un que de lui dire je t’aime? Elle est restée en suspens et elle m’a accompagné toute la journée.

Je comprends que l’irritation protège. Il tient l’autre à distance et nous évite l’intime. Mais dire une parole qui rapproche, même un simple merci ou un tu comptes pour moi, demande un tout autre courage. Cela exige de laisser tomber l’intelligence défensive pour accueillir une forme de sagesse intérieure, celle qui relie plutôt qu’elle ne se cache.

Dans nos milieux de travail, nous valorisons trop souvent la retenue au détriment de l’humanité. Pourtant, ce sont les gestes de tendresse et de reconnaissance qui nourrissent réellement nos liens et qui stabilisent les relations dans les périodes difficiles.

Depuis ce moment, je tente de choisir la parole qui ouvre plutôt que celle qui ferme.

jeudi 13 novembre 2025

Conférence : Vieillir, c’est choisir la vitalité et le sens à chaque étape.

 

La génération des Baby Boomers a toujours su transformer la société. Aujourd’hui, elle peut aussi transformer le vieillissement. Trop souvent perçu comme un déclin, il peut devenir une aventure de vitalité, de créativité et de sens.

J’aurai le plaisir d’offrir une conférence interactive à l'Académie des retraités de l'Outaouais, en collaboration avec le Centre sur le vieillissement, la communauté et l’épanouissement humain de l’Université Saint-Paul :

Lundi 17 novembre 2025
De 9 h 30 à 11 h 30
La Cabane en Bois Rond - 331 Bd de la Cité-des-Jeunes, Gatineau, QC

Nous explorerons comment dépasser les modèles mentaux qui limitent le vieillissement, comment aborder cette étape comme un chemin de transformation et comment nourrir quatre piliers essentiels :

le corps, l’esprit et les émotions, les liens sociaux et la quête de sens.

Vieillir est un passage où chaque lumière, du matin au soir, trouve sa place. Un passage à vivre en communauté, pour l’épanouissement humain.

Conférencier : Marquis Bureau, professeur à l’Université Saint-Paul et chercheur en épanouissement humain. Sa recherche doctorale porte sur une posture d’accompagnement communautaire auprès des proches aidants d’aînés en Outaouais. Avec plus de 30 ans d’expérience, il crée des espaces où le vieillissement se révèle comme un chemin de vitalité, de dignité et de sens partagé.

mercredi 12 novembre 2025

Tout ce qu’on accepte se résout

Il arrive que la vie nous place devant des murs : une perte, une déception, un silence trop lourd. Nous voulons comprendre, corriger, forcer la porte. Mais plus nous résistons, plus la douleur s’installe, non par cruauté, mais parce qu’elle attend d’être reconnue.

L’acceptation n’est pas un renoncement : c’est un geste d’amour envers le réel. C’est dire à la vie : je t’accueille telle que tu es, même si je ne te comprends pas encore. Et dans ce consentement fragile, quelque chose se délie. La peur se transforme en présence, la colère en lucidité, la tristesse en douceur.

Ce n’est pas le problème qui disparaît : c’est nous qui cessons de lui résister. Alors, la vie reprend son cours. Le fleuve retrouve sa rivière, et le cœur, son mouvement naturel : celui de la paix.


mardi 11 novembre 2025

Le dialogue, un chemin vers la présence partagée


 

Il y a, dans le mot dialogue, une promesse qui dépasse la simple conversation. Dialoguer, ce n’est pas seulement échanger des idées, c’est s’exposer à la rencontre. C’est consentir à ce que quelque chose, entre nous, devienne plus grand que nous.

Chaque fois que j’entre dans un cercle de dialogue, je me souviens que la parole n’est pas faite pour convaincre, mais pour relier. Elle devient un fil qui, de voix en silence, tisse un espace de présence partagée. C’est souvent un lieu exigeant. Car il faut y renoncer à vouloir avoir raison, à défendre nos certitudes, à imposer nos cadres de pensée. Le dialogue nous apprend à suspendre. À écouter ce qui veut naître.

Dans ce temps suspendu, quelque chose se transforme. La parole cesse d’être un instrument de pouvoir pour redevenir un acte d’attention. On ne parle plus pour dire, on parle à partir de ce qui se dit en soi. Et dans cette écoute profonde, un mouvement s’installe : les frontières entre moi et l’autre s’adoucissent. Ce n’est plus ma vérité ni ta vérité : c’est un espace vivant où la vérité prend forme entre nous.

Le dialogue, dans sa dimension la plus essentielle, est une pratique spirituelle. Il demande du courage, car il expose la part vulnérable de l’humain : celle qui ne sait pas encore, qui cherche, qui apprend à s’incliner devant le mystère de la rencontre. Mais il offre aussi une immense liberté. Quand nous cessons de parler pour convaincre, nous commençons à parler pour comprendre. Et dans cette compréhension, le lien se répare, la confiance renaît.

Nous vivons dans un monde saturé de discours et appauvri d’écoute. Le dialogue véritable devient alors une forme de résistance douce : un art de ralentir, de se rendre disponible, de demeurer curieux de l’autre. C’est une pratique de transformation intérieure autant que collective. Car en apprenant à dialoguer, nous apprenons à habiter le monde autrement.

Peut-être que la qualité d’une relation, d’une communauté, d’une société même, se mesure à sa capacité de dialoguer : à demeurer ouverte, à accueillir la différence sans se fragmenter, à chercher ensemble ce qui nous relie plutôt que ce qui nous oppose.

Le dialogue ne résout pas tout, mais il transforme ce que nous sommes pendant que nous cherchons. Et parfois, cela suffit pour que le monde change un peu, à l’intérieur comme autour de nous.

lundi 10 novembre 2025

La première neige du cœur

 

Chaque année, à ce moment précis où la première neige se pose sur le sol, quelque chose s’éveille en moi. Une présence douce et aimante, tout près du cœur, vient se manifester sans prévenir. Elle ne parle pas, ne demande rien. Elle se contente d’être là, comme un murmure ancien qui me rappelle que revient le temps des Fêtes.

Ce temps a toujours eu pour moi une importance particulière. Même dans les périodes les plus difficiles, j’y ai trouvé un refuge, une chaleur, une fidélité à la beauté du monde. Peut-être parce que, sous la lumière fragile des jours d’hiver, la vie semble se faire plus intérieure, plus essentielle.

Cette présence que je ressens n’est pas seulement mémoire. Elle est vivante. Elle me rappelle que la joie n’est pas une émotion passagère, mais une manière d’habiter le monde avec reconnaissance. Elle m’invite à ralentir, à écouter, à aimer plus simplement.

La neige, en recouvrant la terre, efface un instant les traces du tumulte. Elle offre au regard une page blanche, un silence neuf. C’est peut-être cela que cette présence vient m’enseigner : la paix ne s’impose pas, elle se reçoit. Elle se dépose comme la neige, doucement, sur ce qui en nous consent à s’arrêter.

Et chaque fois que je sens cette chaleur au milieu du froid, je comprends que le temps des Fêtes n’est pas d’abord une période de l’année. C’est un état du cœur. Un espace intérieur où la gratitude revient respirer, où la lumière trouve à nouveau un passage.

Quand l’urgence vole le temps de penser

 

Il y a dans nos sociétés un phénomène discret, mais redoutable : celui de l’urgence devenue norme. Autrefois, elle signalait l’exception ; aujourd’hui, elle rythme le quotidien. Elle infiltre nos conversations, nos décisions, nos émotions. Sous son apparence de vitalité, elle court-circuite la pensée. Elle ne cherche plus la réflexion, mais la réaction. Dans ce régime de la post-vérité, la rhétorique de l’urgence est devenue un art politique : on ne propose plus des idées, on provoque des émotions. La peur, la colère, la compassion même sont convoquées comme leviers pour orienter nos comportements. Le débat, lent et nuancé, cède la place au réflexe immédiat. Ce n’est plus la raison qui gouverne, mais le ressenti collectif, façonné à coups d’images, de slogans, de chiffres brandis comme des certitudes.

Cette logique ne s’arrête pas aux portes du pouvoir : elle s’invite aussi dans nos vies. On réclame des réponses rapides à des questions profondes, on exige des positions avant d’avoir écouté, on veut des solutions plutôt que des conversations. L’urgence devient un réflexe défensif : elle nous protège de la complexité du réel, mais elle nous coupe de la profondeur du lien. Elle nous fait oublier que certaines vérités ne se découvrent qu’à travers la lenteur, l’écoute, la maturation silencieuse. Nous confondons parfois mouvement et transformation, vitesse et profondeur, agitation et vie.

Accompagner, aujourd’hui, c’est peut-être cela : redonner droit à la lenteur, au temps long du sens. C’est oser ralentir quand tout pousse à accélérer. C’est rétablir le souffle dans une culture qui étouffe sous le rythme. C’est rappeler, doucement, que l’émotion ne doit pas nous gouverner, mais nous révéler. Et que penser, loin d’être une résistance à la vie, en est une forme profonde d’amour : celle qui relie la lucidité à la bonté, et l’action à la conscience.

dimanche 9 novembre 2025

L’autre nom de la fidélité

 

Rencontrer la singularité de mon chemin, c’est choisir d’entrer en dialogue avec ce qui, en moi, échappe aux modèles. C’est accepter de marcher sans carte, d’écouter les signes, de reconnaître les passages où quelque chose d’unique cherche à se dire. Je n’ai pas à inventer ma singularité : elle m’attend, discrète, au détour d’une expérience ou d’un silence.

Cette rencontre demande de l’audace. Elle m’appelle à ralentir, à écouter ce que la vie murmure quand je cesse de courir. Elle me pousse à habiter mes contradictions, à regarder mes zones d’ombre sans honte, à suivre mes élans même quand ils dérangent. Chaque pas devient une manière de me tenir vivant, présent, aligné.

Sur le plan spirituel, rencontrer ma singularité, c’est un acte de vérité. J’ose me tenir entre ce que la vie a voulu faire de moi et ce que je choisis de devenir. Dans cet espace d’entre-deux, je découvre la liberté d’être fidèle à ma propre voix, sans masque ni imitation.

Sur le plan existentiel, c’est une invitation à cesser de me comparer. Mon chemin n’a pas à ressembler à celui des autres. Il a son rythme, ses saisons, ses détours. En l’honorant, je redonne du sens à ce que je vis et j’apprends à transformer la vulnérabilité en force tranquille.

Et sur le plan communautaire, plus je rencontre ma singularité, plus je peux reconnaître celle des autres sans la craindre. Je cesse de vouloir convaincre ou corriger. J’apprends à écouter, à accueillir, à créer du lien à partir de la différence. C’est là que la diversité devient féconde.

Rencontrer la singularité de mon chemin, c’est donc agir en présence. C’est répondre à la vie avec ce que j’ai d’unique et de vrai, sans chercher à plaire ni à prouver. C’est marcher, simplement, en sachant que chaque pas, s’il est habité, éclaire déjà le monde.

samedi 8 novembre 2025

Quand la salle de classe devient un monde : apprendre à apprendre ensemble

 

Alors que je m’apprête à enseigner une fin de semaine expérientielle et intensive à l’Université Saint-Paul, consacrée à l’intelligence émotionnelle, je ressens cette douce tension entre l’élan et la contemplation.

L’enseignement interculturel n’est pas un défi à surmonter, mais une chance d’élargir notre humanité

Chaque fois que j’entre dans une salle de classe, je sens le monde respirer à travers les visages qui m’attendent. Des voix venues d’Afrique, des Antilles, du Maghreb, d'Europe, du Canada… Des histoires d’apprentissage qui ne parlent pas toutes la même langue, mais qui partagent un même élan : celui de comprendre et de se comprendre.

Pendant longtemps, j’ai perçu cette diversité comme une complexité à apprivoiser, presque comme un obstacle pédagogique. Aujourd’hui, je la vois comme une invitation à grandir. L’enseignement interculturel n’est pas une épreuve, c’est une chance, celle d’élargir notre regard sur ce que signifie apprendre.

Quand un.e étudiant.e me récite un texte avec la précision d’un chant appris, je n’y vois plus un manque d’esprit critique. J’y reconnais un geste d’honneur, une fidélité à la parole reçue. Quand un.e autre hésite à me contredire, je n’y lis plus la peur de s’exprimer, mais le respect d’une relation qu’elle/il ne veut pas blesser. Ces gestes, ces silences, ces nuances sont les empreintes de cultures d’apprentissage qui portent en elles une sagesse différente : celle du lien avant le débat, de la mémoire avant la rupture.

Dans ces moments, je me rends compte que nous n’enseignons jamais seul.es. Nous sommes accompagné.es par des siècles de traditions, de valeurs, de manières de penser qui se croisent et se répondent. Enseigner, c’est accueillir ces mémoires et les faire dialoguer. C’est apprendre à écouter avant de transmettre.

À l’Université Saint-Paul, j’ai appris que le véritable acte pédagogique est un acte de traduction : faire circuler la connaissance entre des mondes, sans la réduire ni la trahir. Cela demande de la patience, de l’humilité et parfois le courage d’admettre que nous ne savons pas tout de l’autre.

Alors, au lieu de chercher à surmonter les différences, apprenons à nous en émerveiller. Chaque accent est un poème, chaque hésitation une prière, chaque regard une invitation à élargir notre humanité.

C’est là, dans cette résonance silencieuse entre les cultures, que je découvre ce que veut dire vraiment enseigner : se laisser transformer par celles et ceux que l’on accompagne.

vendredi 7 novembre 2025

Quand le cœur parle, la position se tait

 

Il arrive souvent, dans nos échanges, que nous défendions une position sans nous rendre compte que nous avons perdu de vue l’enjeu véritable. La position, c’est ce que nous affirmons : un point de vue, une opinion, un besoin exprimé parfois avec rigidité. L’enjeu, lui, se situe plus profondément : il touche à ce qui nous importe vraiment, à ce que nous cherchons à préserver ou à nourrir dans la relation.

Quand nous confondons les deux, la conversation devient un bras de fer où chacun tente d’avoir raison plutôt que de se comprendre. Nous croyons parler de faits, alors que nous parlons d’attachements, de blessures ou de désirs non entendus. Cette confusion crée de la distance, car l’autre perçoit notre défense, mais pas notre vulnérabilité.

Revenir à l’enjeu, c’est quitter le terrain de la confrontation pour celui de la rencontre. C’est oser dire : « Ce qui est en jeu pour moi, c’est d’être reconnu, entendu, respecté. » C’est aussi écouter l’enjeu de l’autre, sans le juger, pour retrouver le fil vivant du dialogue.

Dans toute relation, personnelle ou professionnelle, il y a un moment où il faut choisir : défendre sa position ou approfondir la relation. L’enjeu, souvent, c’est justement cette relation elle-même.

jeudi 6 novembre 2025

Chronique – Quand recevoir devient servir

 

Il fut un temps où inviter quelqu’un à manger relevait d’un art simple et joyeux. On dressait la table avec ce qu’on avait, sans chercher à impressionner, mais à accueillir. Préparer un repas, c’était dire à l’autre : je t’ouvre ma maison, je t’offre un peu de moi. Chaque plat portait quelque chose du cœur de la personne qui l’avait cuisiné, un peu de son temps, de son soin, de son humanité.

Aujourd’hui, le geste s’est déplacé. Recevoir des proches devient parfois une organisation minutieuse. Avant même de choisir le menu, on dresse la liste des intolérances, des régimes et des préférences. Ce qui, hier encore, était un moment d’abandon et de découverte devient un service personnalisé. Chacun.e commande à l’avance son assiette, comme on le ferait au restaurant. Et celle ou celui qui reçoit se transforme en cuisinièr.e improvisé.e, attentif.ve à plaire à tout le monde, souvent au détriment du plaisir d’offrir.

Je ne porte pas ici un jugement, mais une question : qu’avons-nous perdu en chemin. Nos attentions alimentaires sont plus conscientes, plus respectueuses. Mais dans ce raffinement du sur-mesure, n’avons-nous pas laissé s’étioler la joie du commun. Autrefois, le repas nous rassemblait autour d’un même plat, d’une même odeur, d’une même surprise. Aujourd’hui, il nous arrive de manger côte à côte, mais chacun.e dans son monde, chacun.e avec sa commande.

Recevoir quelqu’un chez soi, ce n’est pas seulement nourrir un corps, c’est nourrir le lien. Et peut-être que le plus beau cadeau, ce n’est pas d’avoir exactement ce qu’on veut dans son assiette, mais de sentir qu’une personne nous attend, qu’elle a pensé à nous et qu’elle a pris le temps de dire : bienvenue chez moi.

Quand le soin devient milieu de vie

 

Prendre soin d’une personne, d’un groupe ou d’une communauté, c’est aussi prendre soin de ce qui fait tenir la vie ensemble : la confiance, la reconnaissance, la qualité du lien.

Ce n’est pas seulement tendre la main à quelqu’un ou à quelqu’une, mais aussi écouter le milieu dans lequel il ou elle vit.
Souvent, la souffrance ne vient pas d’un manque d’amour, mais d’un manque de lien. Quand nous sommes coupés de nous-mêmes, des autres ou de la nature, quelque chose s’éteint doucement à l’intérieur.

Dans le monde de l’accompagnement, on parle souvent de services, de programmes, d’interventions. Mais avant d’intervenir, il faut habiter.
Habiter un lieu.
Habiter une relation.
Habiter le vivant.
Car rien ne pousse dans un sol durci par la peur, la fatigue ou la précipitation.

Prendre soin, c’est aussi faire attention au climat invisible d’une relation : la confiance, la bienveillance, le respect, le silence qui permet à l’autre d’exister. Ce sont ces éléments simples qui donnent de la profondeur au lien.

Dans ma recherche sur le Cadre Essentia, j’ai compris que l’accompagnement n’est pas seulement un ensemble de pratiques. C’est un écosystème du lien.
La structure, c’est le cadre qui soutient et protège.
La fonction, c’est le sens qui oriente et relie.
Et l’accompagnant ou l’accompagnante, c’est la personne qui, par sa présence, fait circuler la vie entre les deux.

Cette manière de voir m’a appris quelque chose d’essentiel : on ne soigne pas les personnes, on soigne les liens.
Quand le lien est vivant, la personne retrouve sa force.
Quand la relation est habitée de confiance, le groupe retrouve sa cohérence.
Quand la communauté respire ensemble, le monde devient un peu plus paisible.

Prendre soin, c’est un art : celui de préparer le terrain, d’ajuster la lumière, de laisser la vie circuler.
C’est reconnaître que la vie n’a pas besoin d’être contrôlée, mais simplement accueillie.

Prendre soin, c’est ouvrir un espace où la vie peut se souvenir d’elle-même.

mercredi 5 novembre 2025

L’arbre et la forêt de la proche aidance

 


Hier encore, au Centre d’entraide des aînés de Gatineau, nous étions réunis autour d’une même intention : reconnaître la beauté, la complexité et la dignité de la proche aidance.

Dans ce cercle de paroles et de silences, j’ai revu les visages de celles et ceux qui, chaque jour, se tiennent debout comme des arbres.

L’arbre de la proche aidance, c’est celui qui se dresse dans la lumière du quotidien. Il plonge ses racines dans l’amour, la responsabilité, la fidélité à un être cher. Il s’élève, souvent dans le vent, parfois sous la pluie, cherchant à garder vivante la sève du lien malgré les épreuves. Chaque proche aidant est un arbre. Unique, résilient, porteur d’une histoire qui le dépasse.

Mais un arbre seul ne fait pas forêt.
Et pourtant, combien d’aidants se croient seuls dans la clairière de leurs journées trop pleines ?
La forêt, c’est ce qui relie les arbres entre eux. Ce sont les organismes, les bénévoles, les amis, les voisins, les professionnels du réseau de la santé, les groupes de soutien, les espaces d’écoute et de partage comme celui que nous avons vécu hier. Sous la terre, les racines se touchent, se soutiennent, se nourrissent mutuellement.

Reconnaître la forêt de la proche aidance, c’est comprendre que le soin n’est jamais un acte isolé. C’est un mouvement collectif, une respiration du vivant. C’est se rappeler que la solidarité est une lumière qui traverse les branches et éclaire les chemins du courage.

En cette Semaine nationale des personnes proches aidantes, honorons les arbres et prenons soin de la forêt.
Appuyons celles et ceux qui, dans l’ombre ou la lumière, portent le poids et la tendresse de la vie partagée.
Et souvenons-nous que la forêt ne se mesure pas au nombre de ses arbres, mais à la profondeur de ses racines et à la qualité du lien qui les unit.

mardi 4 novembre 2025

Allumer le feu de la démocratie

À chaque élection au Québec, on entend souvent des gens dire à la télé : « Je vote pour avoir le droit de chialer. » Cette phrase fait sourire, mais elle montre aussi quelque chose d’inquiétant. On dirait qu’on a oublié ce que la démocratie veut vraiment dire.

Voter, ce n’est pas seulement cocher une case tous les quatre ans. Ce n’est pas juste un devoir pour ensuite se plaindre si les choses ne vont pas comme on veut. La démocratie, c’est bien plus que ça. C’est un espace vivant où chacun de nous peut participer, discuter, proposer, et faire entendre sa voix entre les élections.

Quand on limite la démocratie au simple fait d’aller voter, on la rend fragile. On laisse les autres décider à notre place. On oublie que la démocratie, c’est quelque chose qu’on construit ensemble, chaque jour, dans nos quartiers, nos écoles, nos milieux de travail et nos communautés.

Voter, c’est important, oui. Mais c’est seulement le point de départ.
La vraie démocratie commence quand on décide de s’impliquer, d’écouter les autres et d’allumer, chacun à notre manière, le feu du nous.

lundi 3 novembre 2025

Accompagner, c’est faire circuler la vie

 


Et si nos racines d’appartenance et nos branches de reliance étaient les deux forces qui nous relient à la vie ?
Cette semaine des personnes proches aidantes nous rappelle combien l’accompagnement est un art du lien.
Dans les gestes simples des aidantes et des aidants se cache une sagesse ancienne : aimer sans attendre, être présent quand les mots manquent, tenir la main qui tremble sans vouloir la diriger.

Au Centre sur le vieillissement, la communauté et l’épanouissement humain de l'Université Saint-Paul, nous voyons dans l’accompagnement une alliance avec la vie elle-même.
Vieillir, c’est continuer d’apprendre à aimer.
Accompagner, c’est se souvenir que la fragilité n’est pas une défaite, mais un espace où l’humanité respire encore.

C’est dans cet esprit que le Centre d’entraide aux aînés de Gatineau accueillera l’activité « L’Arbre de Vie : Appartenance et Reliance », animée par Michel Charron et moi, le mardi 4 novembre à la Cabane en bois rond.

À travers le dessin, la couleur et la symbolique de l’arbre, les proches aidants d’aînés seront invités à reconnaître leurs racines, célébrer leurs liens et ouvrir un espace de reliance vivante.

Que cette semaine soit pour chacun un temps de gratitude, de lenteur et de reconnaissance envers celles et ceux qui, par leur présence, maintiennent la vie en mouvement.

dimanche 2 novembre 2025

Réflexion matinale : Apprendre à aimer autrement

 

Si nous devons apprendre la non-violence, pourquoi connaissons-nous si bien la violence ?
C’est une question que je me pose souvent, et que j’invite à laisser résonner un moment en vous.

Peut-être que la violence fait partie de notre humanité blessée. Elle surgit quand nous nous sentons séparés de nous-mêmes, des autres, de la vie. Elle apparaît quand la peur prend la place de la confiance, quand la blessure parle plus fort que le cœur.

Apprendre la non-violence, c’est réapprendre à habiter le lien. Ce n’est pas nier la colère ni la douleur, mais apprendre à les écouter autrement. C’est reconnaître qu’elles portent en elles un message, celui d’un besoin non entendu, d’un amour égaré.

Marshall Rosenberg disait que la communication non violente n’est pas une technique mais un chemin. Un chemin pour retrouver, sous nos automatismes et nos défenses, le battement du vivant. Apprendre à dire sans blesser, écouter sans se perdre et demeurer présent, même quand c’est difficile.

Mais pour apprendre cela, il faut oser regarder la violence en face, non pour s’y complaire mais pour la traverser. Car c’est souvent par contraste que la conscience grandit : c’est en connaissant la douleur que l’on reconnaît la paix, en ayant vécu la rupture que l’on comprend la rencontre.

Je me souviens d’un homme, dans un Cercle de Pardon, qui a dit après un long silence :
« Ma colère était une forme d’amour qui avait perdu son chemin. »
Dans ce moment, tout le groupe a respiré autrement. Nous avons compris que la violence n’est pas l’opposé de la non-violence, mais parfois son point de départ.

Apprendre la non-violence, c’est apprendre à aimer autrement : aimer sans posséder, parler sans écraser, être présent sans vouloir sauver.
C’est se rappeler que sous chaque cri, il y a une demande d’amour, et que la paix commence toujours dans la façon dont on choisit d’écouter.