mercredi 17 septembre 2025

Solitude choisie, solitude non-choisie, isolement

 

Il y a des silences qui réconfortent… et d’autres qui écrasent. Des moments de solitude qui apaisent comme un souffle doux, et d’autres qui pèsent comme une pierre dans la poitrine. Vieillir, c’est souvent apprendre à marcher entre ces deux rivages.

La solitude choisie est une alliée discrète. On la retrouve dans le froissement d’un livre qu’on ouvre le matin, dans la chaleur d’un thé fumant partagé avec soi-même, dans une promenade où les pas résonnent seuls sur un sentier humide après la pluie. Cette solitude-là n’est pas un vide, mais un espace plein : elle permet de respirer plus large, de revenir à soi, de goûter à l’essentiel. Paradoxalement, elle rend aussi les rencontres plus vraies, car celui qui sait habiter le silence rencontre l’autre avec plus de profondeur.

À l’inverse, il y a la solitude non-choisie. Celle qui s’impose comme un vent froid qui s’infiltre malgré soi. Elle surgit après un deuil, un départ, un effacement progressif des liens. Elle ne console pas, elle fragilise. Dans ce silence-là, le temps ne s’élargit pas : il se resserre. On a l’impression d’être mis de côté, oublié. Cette solitude appelle une réponse humaine, une main tendue, une communauté qui dit : tu n’es pas seul, nous sommes là.

Et puis, il y a l’isolement. Plus qu’un sentiment, c’est une condition. Comme une maison fermée où les fenêtres ne s’ouvrent plus. Isolement géographique des villages éloignés. Isolement social quand les amis disparaissent un à un. Isolement institutionnel lorsque les systèmes ne parviennent plus à rejoindre ceux qui en auraient le plus besoin. L’isolement n’est pas seulement une douleur intime : il ronge la dignité et appauvrit la société tout entière.

Vieillir avec la communauté, c’est apprendre à aimer la solitude choisie, accompagner la solitude non-choisie, et refuser l’isolement. C’est transformer le passage du temps en un chemin de croissance, au lieu d’un repli. Car vieillir ainsi, reliés et reconnus, c’est déjà faire l’expérience de ce que nous cherchons tous : un épanouissement profondément humain.

mardi 16 septembre 2025

Quels récits collectifs portons-nous autour de la vieillesse, du soin et de la dignité?

 

Nous vivons encore, trop souvent, avec des récits façonnés par la logique de la performance : la vieillesse est perçue comme un déclin, le soin comme un fardeau, la dignité comme quelque chose de fragile qui s’effrite avec la perte d’autonomie. Ces récits dominants, hérités d’un monde centré sur l’efficacité, réduisent les personnes âgées à leurs vulnérabilités et invisibilisent leur richesse humaine.

Pourtant, d’autres récits existent et méritent d’être nourris. La vieillesse peut être vue comme un passage habité de sagesse et de transmission. Le soin peut être compris comme une rencontre, une relation réciproque où chacun apprend et grandit. La dignité peut être reconnue comme un socle inaliénable, qui demeure intact même au cœur de la fragilité.

La question n’est donc pas seulement de constater quels récits nous portons, mais de décider lesquels nous voulons faire vivre. Car c’est par les récits que nous cultivons, dans nos familles, nos communautés et nos institutions, que se construit notre manière de vieillir ensemble et de demeurer humains.

lundi 15 septembre 2025

Quand une majorité se sent minoritaire : le point de bascule ?

Depuis hier, une pensée m’habite : que se passe-t-il lorsqu’une majorité commence à se percevoir comme une minorité ? Est-ce là un point de bascule dans l’histoire d’une société ?

Aux États-Unis comme au Québec, cette question résonne avec une intensité particulière.

Le paradoxe des majorités fragiles

Dans un premier regard, une majorité est censée être stable : elle possède le nombre, les institutions, la légitimité historique. Mais la réalité est plus complexe. Aux États-Unis, une partie de la population blanche vit avec la conscience grandissante qu’elle n’est plus « la norme évidente » : l’émergence démographique et culturelle des communautés afro-américaines, hispaniques et asiatiques annonce un renversement de proportions. Au Québec, plusieurs francophones vivent une situation paradoxale : majoritaires dans leur territoire, mais minoritaires en Amérique du Nord, ils se sentent assiégés par la force de l’anglais, par la mondialisation et par l’érosion de certains repères culturels.

Dans les deux cas, la majorité se vit comme fragile, menacée, vulnérable.

Le point de bascule

Ce sentiment de minorisation agit comme un révélateur. Il peut devenir un point de bascule de deux manières opposées :

  • Du côté de la peur : il nourrit la tentation du repli, du populisme, d’un nationalisme défensif. Quand une majorité se croit en danger, elle peut chercher à imposer sa survie par l’exclusion, le rejet ou la crispation identitaire.

  • Du côté de la transformation : il peut aussi devenir une invitation à repenser l’identité autrement. Non plus comme une forteresse à défendre, mais comme une relation vivante à redéfinir. C’est là un chemin exigeant, car il demande d’accepter que rien n’est garanti ni figé.

Le basculement advient précisément quand la majorité cesse de se vivre comme une évidence, et qu’elle doit justifier son rôle, son sens, sa place. C’est un moment à la fois fragile et fécond.

Apprendre des minorités

Il y a ici une sagesse possible. Lorsqu’une majorité se vit comme minoritaire, elle fait l’expérience de ce que les minorités connaissent depuis toujours : la précarité, la nécessité de se battre pour sa reconnaissance, l’importance vitale des solidarités. Ce renversement peut alors devenir une école d’humilité et de créativité.

Il invite à sortir de la logique du pouvoir qui impose, pour entrer dans la logique du vivre-ensemble qui compose.

Une lecture spirituelle et communautaire

Dans l’accompagnement communautaire comme dans la vie spirituelle, ce point de bascule peut être compris autrement : il ouvre la possibilité d’une conscience plus large. La majorité qui se découvre fragile peut apprendre à habiter le monde non plus contre les autres, mais avec eux.

Avancer avec et non malgré, voilà peut-être le cœur de ce basculement. Reconnaître nos fragilités collectives, les accueillir, et leur donner une place dans la mélodie plus vaste de nos sociétés. Car c’est peut-être là que réside l’avenir : dans une majorité qui cesse de se croire intouchable, pour apprendre enfin à vivre dans la résonance, la dignité partagée et l’ouverture à l’autre.

dimanche 14 septembre 2025

La posture : habiter le lien avant l’action


On me demande souvent : « Marquis, tu parles de posture, que veux-tu dire au juste ? »

Pour moi, la posture n’est pas une technique ni un rôle que l’on joue. C’est une manière d’habiter le lien : avec soi, avec l’autre et avec la vie. Elle est ce qui précède l’action et lui donne sa qualité. Là où une compétence peut s’apprendre et un rôle peut s’endosser, la posture se cultive, se façonne dans le temps, comme une présence intérieure qui oriente nos gestes et nos paroles.

Dans l’accompagnement, la posture c’est la façon dont je me tiens dans la relation : suis-je ouvert ou fermé ? Disponible ou distrait ? Suis-je dans le désir de contrôler, ou dans la confiance que l’autre porte déjà en lui une part de sa réponse ? La posture révèle ce que j’incarne plus que ce que je sais.

Ainsi, accompagner ce n’est pas seulement faire ou dire les bonnes choses, c’est surtout choisir comment être : avec écoute, dignité, humilité, parfois silence… Une posture n’est jamais acquise une fois pour toutes. Elle est vivante, fragile et toujours à revisiter. C’est un chemin, plus qu’un état.

jeudi 11 septembre 2025

Le pardon : entre psychologie et rituel collectif

 

Fred Luskin, chercheur à l’Université Stanford et auteur de Forgive for Good (Forgive for Good: A Proven Prescription for Health and Happiness, 2002), définit le pardon comme un processus psychologique et pragmatique. Pardonner, explique-t-il, signifie accéder à une forme de paix intérieure en « relâchant la souffrance » et en cessant d’exiger que la vie se conforme à nos attentes. Selon lui, la colère et la rancune naissent souvent du fait qu’un événement ne correspond pas à ce que nous espérions. Le pardon devient alors un choix, un acte de liberté : blâmer moins, prendre la situation moins personnellement et transformer notre récit intérieur (Luskin, 2002, 2021).

Dans cette perspective, Luskin (2007) distingue trois types de pardon : interpersonnel (pardonner une offense commise par un autre), intrapersonnel (se pardonner à soi-même) et existentiel (pardonner la vie, Dieu ou la nature pour les épreuves subies). Il rappelle que personne n’est obligé de pardonner : il s’agit d’une décision personnelle qui libère de la souffrance sans justifier l’offense ni exiger un retour à une relation toxique. Ces distinctions mettent en lumière une vision psychologique centrée sur le choix individuel et la gestion de l’expérience intérieure.

À cette conception rationnelle et personnelle s’ajoute une autre approche : celle des Cercles de Pardon, créés par Olivier Clerc (Le don du pardon, 2010 ; Peut-on tout pardonner ?, 2019) et diffusés par l’Association du Pardon International. Les Cercles proposent une expérience symbolique et collective : les participants déposent leur vécu dans un espace sécurisant, soutenu par la présence d’autrui et par des rituels qui engagent le corps, la parole et le cœur. Ici, le langage n’est pas celui de la « gestion » de la souffrance, mais celui de la libération intérieure et de la réouverture à l’amour.

Alors que Luskin insiste sur le choix rationnel, décider de pardonner pour alléger sa vie, les Cercles soulignent la dimension relationnelle et spirituelle : se libérer de la rancune pour retrouver une circulation d’amour, en soi et entre les autres. Là où Luskin met en avant une pratique individuelle, les Cercles mobilisent la force du collectif et du rituel pour transformer le pardon en expérience incarnée et partagée.

Ces deux perspectives ne s’opposent pas, elles se complètent. L’une offre une base psychologique et rationnelle, l’autre inscrit ce choix dans une expérience communautaire et spirituelle. Ensemble, elles révèlent la profondeur du pardon, à la fois compétence humaine et chemin de transformation intérieure et relationnelle. En réunissant la clarté psychologique de Luskin et la dimension symbolique des Cercles, le pardon apparaît comme une pratique universelle qui relie l’intime et le collectif, la raison et le cœur.

Références

  • Clerc, O. (2010). Le don du pardon. Paris : Éditions Trédaniel.

  • Clerc, O. (2019). Peut-on tout pardonner ?. Paris : Éditions Trédaniel.

  • Luskin, F. (2002). Forgive for Good: A Proven Prescription for Health and Happiness. New York : HarperCollins.

  • Luskin, F. (2007). The choice to forgive. Greater Good Magazine. UC Berkeley.

  • Luskin, F. (2021). What is forgiveness? Greater Good Science Centerhttps://greatergood.berkeley.edu