mardi 11 novembre 2025

Le dialogue, un chemin vers la présence partagée


 

Il y a, dans le mot dialogue, une promesse qui dépasse la simple conversation. Dialoguer, ce n’est pas seulement échanger des idées, c’est s’exposer à la rencontre. C’est consentir à ce que quelque chose, entre nous, devienne plus grand que nous.

Chaque fois que j’entre dans un cercle de dialogue, je me souviens que la parole n’est pas faite pour convaincre, mais pour relier. Elle devient un fil qui, de voix en silence, tisse un espace de présence partagée. C’est souvent un lieu exigeant. Car il faut y renoncer à vouloir avoir raison, à défendre nos certitudes, à imposer nos cadres de pensée. Le dialogue nous apprend à suspendre. À écouter ce qui veut naître.

Dans ce temps suspendu, quelque chose se transforme. La parole cesse d’être un instrument de pouvoir pour redevenir un acte d’attention. On ne parle plus pour dire, on parle à partir de ce qui se dit en soi. Et dans cette écoute profonde, un mouvement s’installe : les frontières entre moi et l’autre s’adoucissent. Ce n’est plus ma vérité ni ta vérité : c’est un espace vivant où la vérité prend forme entre nous.

Le dialogue, dans sa dimension la plus essentielle, est une pratique spirituelle. Il demande du courage, car il expose la part vulnérable de l’humain : celle qui ne sait pas encore, qui cherche, qui apprend à s’incliner devant le mystère de la rencontre. Mais il offre aussi une immense liberté. Quand nous cessons de parler pour convaincre, nous commençons à parler pour comprendre. Et dans cette compréhension, le lien se répare, la confiance renaît.

Nous vivons dans un monde saturé de discours et appauvri d’écoute. Le dialogue véritable devient alors une forme de résistance douce : un art de ralentir, de se rendre disponible, de demeurer curieux de l’autre. C’est une pratique de transformation intérieure autant que collective. Car en apprenant à dialoguer, nous apprenons à habiter le monde autrement.

Peut-être que la qualité d’une relation, d’une communauté, d’une société même, se mesure à sa capacité de dialoguer : à demeurer ouverte, à accueillir la différence sans se fragmenter, à chercher ensemble ce qui nous relie plutôt que ce qui nous oppose.

Le dialogue ne résout pas tout, mais il transforme ce que nous sommes pendant que nous cherchons. Et parfois, cela suffit pour que le monde change un peu, à l’intérieur comme autour de nous.

lundi 10 novembre 2025

La première neige du cœur

 

Chaque année, à ce moment précis où la première neige se pose sur le sol, quelque chose s’éveille en moi. Une présence douce et aimante, tout près du cœur, vient se manifester sans prévenir. Elle ne parle pas, ne demande rien. Elle se contente d’être là, comme un murmure ancien qui me rappelle que revient le temps des Fêtes.

Ce temps a toujours eu pour moi une importance particulière. Même dans les périodes les plus difficiles, j’y ai trouvé un refuge, une chaleur, une fidélité à la beauté du monde. Peut-être parce que, sous la lumière fragile des jours d’hiver, la vie semble se faire plus intérieure, plus essentielle.

Cette présence que je ressens n’est pas seulement mémoire. Elle est vivante. Elle me rappelle que la joie n’est pas une émotion passagère, mais une manière d’habiter le monde avec reconnaissance. Elle m’invite à ralentir, à écouter, à aimer plus simplement.

La neige, en recouvrant la terre, efface un instant les traces du tumulte. Elle offre au regard une page blanche, un silence neuf. C’est peut-être cela que cette présence vient m’enseigner : la paix ne s’impose pas, elle se reçoit. Elle se dépose comme la neige, doucement, sur ce qui en nous consent à s’arrêter.

Et chaque fois que je sens cette chaleur au milieu du froid, je comprends que le temps des Fêtes n’est pas d’abord une période de l’année. C’est un état du cœur. Un espace intérieur où la gratitude revient respirer, où la lumière trouve à nouveau un passage.

Quand l’urgence vole le temps de penser

 

Il y a dans nos sociétés un phénomène discret, mais redoutable : celui de l’urgence devenue norme. Autrefois, elle signalait l’exception ; aujourd’hui, elle rythme le quotidien. Elle infiltre nos conversations, nos décisions, nos émotions. Sous son apparence de vitalité, elle court-circuite la pensée. Elle ne cherche plus la réflexion, mais la réaction. Dans ce régime de la post-vérité, la rhétorique de l’urgence est devenue un art politique : on ne propose plus des idées, on provoque des émotions. La peur, la colère, la compassion même sont convoquées comme leviers pour orienter nos comportements. Le débat, lent et nuancé, cède la place au réflexe immédiat. Ce n’est plus la raison qui gouverne, mais le ressenti collectif, façonné à coups d’images, de slogans, de chiffres brandis comme des certitudes.

Cette logique ne s’arrête pas aux portes du pouvoir : elle s’invite aussi dans nos vies. On réclame des réponses rapides à des questions profondes, on exige des positions avant d’avoir écouté, on veut des solutions plutôt que des conversations. L’urgence devient un réflexe défensif : elle nous protège de la complexité du réel, mais elle nous coupe de la profondeur du lien. Elle nous fait oublier que certaines vérités ne se découvrent qu’à travers la lenteur, l’écoute, la maturation silencieuse. Nous confondons parfois mouvement et transformation, vitesse et profondeur, agitation et vie.

Accompagner, aujourd’hui, c’est peut-être cela : redonner droit à la lenteur, au temps long du sens. C’est oser ralentir quand tout pousse à accélérer. C’est rétablir le souffle dans une culture qui étouffe sous le rythme. C’est rappeler, doucement, que l’émotion ne doit pas nous gouverner, mais nous révéler. Et que penser, loin d’être une résistance à la vie, en est une forme profonde d’amour : celle qui relie la lucidité à la bonté, et l’action à la conscience.

dimanche 9 novembre 2025

L’autre nom de la fidélité

 

Rencontrer la singularité de mon chemin, c’est choisir d’entrer en dialogue avec ce qui, en moi, échappe aux modèles. C’est accepter de marcher sans carte, d’écouter les signes, de reconnaître les passages où quelque chose d’unique cherche à se dire. Je n’ai pas à inventer ma singularité : elle m’attend, discrète, au détour d’une expérience ou d’un silence.

Cette rencontre demande de l’audace. Elle m’appelle à ralentir, à écouter ce que la vie murmure quand je cesse de courir. Elle me pousse à habiter mes contradictions, à regarder mes zones d’ombre sans honte, à suivre mes élans même quand ils dérangent. Chaque pas devient une manière de me tenir vivant, présent, aligné.

Sur le plan spirituel, rencontrer ma singularité, c’est un acte de vérité. J’ose me tenir entre ce que la vie a voulu faire de moi et ce que je choisis de devenir. Dans cet espace d’entre-deux, je découvre la liberté d’être fidèle à ma propre voix, sans masque ni imitation.

Sur le plan existentiel, c’est une invitation à cesser de me comparer. Mon chemin n’a pas à ressembler à celui des autres. Il a son rythme, ses saisons, ses détours. En l’honorant, je redonne du sens à ce que je vis et j’apprends à transformer la vulnérabilité en force tranquille.

Et sur le plan communautaire, plus je rencontre ma singularité, plus je peux reconnaître celle des autres sans la craindre. Je cesse de vouloir convaincre ou corriger. J’apprends à écouter, à accueillir, à créer du lien à partir de la différence. C’est là que la diversité devient féconde.

Rencontrer la singularité de mon chemin, c’est donc agir en présence. C’est répondre à la vie avec ce que j’ai d’unique et de vrai, sans chercher à plaire ni à prouver. C’est marcher, simplement, en sachant que chaque pas, s’il est habité, éclaire déjà le monde.

samedi 8 novembre 2025

Quand la salle de classe devient un monde : apprendre à apprendre ensemble

 

Alors que je m’apprête à enseigner une fin de semaine expérientielle et intensive à l’Université Saint-Paul, consacrée à l’intelligence émotionnelle, je ressens cette douce tension entre l’élan et la contemplation.

L’enseignement interculturel n’est pas un défi à surmonter, mais une chance d’élargir notre humanité

Chaque fois que j’entre dans une salle de classe, je sens le monde respirer à travers les visages qui m’attendent. Des voix venues d’Afrique, des Antilles, du Maghreb, d'Europe, du Canada… Des histoires d’apprentissage qui ne parlent pas toutes la même langue, mais qui partagent un même élan : celui de comprendre et de se comprendre.

Pendant longtemps, j’ai perçu cette diversité comme une complexité à apprivoiser, presque comme un obstacle pédagogique. Aujourd’hui, je la vois comme une invitation à grandir. L’enseignement interculturel n’est pas une épreuve, c’est une chance, celle d’élargir notre regard sur ce que signifie apprendre.

Quand un.e étudiant.e me récite un texte avec la précision d’un chant appris, je n’y vois plus un manque d’esprit critique. J’y reconnais un geste d’honneur, une fidélité à la parole reçue. Quand un.e autre hésite à me contredire, je n’y lis plus la peur de s’exprimer, mais le respect d’une relation qu’elle/il ne veut pas blesser. Ces gestes, ces silences, ces nuances sont les empreintes de cultures d’apprentissage qui portent en elles une sagesse différente : celle du lien avant le débat, de la mémoire avant la rupture.

Dans ces moments, je me rends compte que nous n’enseignons jamais seul.es. Nous sommes accompagné.es par des siècles de traditions, de valeurs, de manières de penser qui se croisent et se répondent. Enseigner, c’est accueillir ces mémoires et les faire dialoguer. C’est apprendre à écouter avant de transmettre.

À l’Université Saint-Paul, j’ai appris que le véritable acte pédagogique est un acte de traduction : faire circuler la connaissance entre des mondes, sans la réduire ni la trahir. Cela demande de la patience, de l’humilité et parfois le courage d’admettre que nous ne savons pas tout de l’autre.

Alors, au lieu de chercher à surmonter les différences, apprenons à nous en émerveiller. Chaque accent est un poème, chaque hésitation une prière, chaque regard une invitation à élargir notre humanité.

C’est là, dans cette résonance silencieuse entre les cultures, que je découvre ce que veut dire vraiment enseigner : se laisser transformer par celles et ceux que l’on accompagne.