mercredi 26 novembre 2025

La justesse du pas


Il m’arrive souvent de constater que nous pouvons facilement rester dans nos intentions. Nous voulons aider, transformer, soutenir, mais nous demeurons immobiles. Lorsque nous nous engageons sans agir, quelque chose se perd. L’engagement devient une idée au lieu d’un mouvement réel.

À l’inverse, nous pouvons aussi agir sans être vraiment engagés. Nous faisons des gestes rapides, efficaces, mais qui manquent de présence. Ils ne changent rien, ni pour nous ni pour les autres. Ils ne viennent pas du cœur. Ils ne viennent pas de cette zone intérieure où l’on sent ce qui est vraiment juste.

Entre ces deux extrêmes, vous et moi sommes invités à chercher un chemin. Ce chemin demande de relier l’engagement et l’action. Cela demande d’écouter la situation, de regarder ce qui vit devant nous et de nous demander: qu’est-ce qui est juste maintenant? Est-ce le moment d’agir ou le moment de demeurer présent, en silence, pour laisser l’autre respirer et se déposer?

Dans l’accompagnement, cette recherche est essentielle. Parfois la vie nous appelle à poser un geste clair, à dire un mot, à offrir une présence stable. D’autres fois, elle nous demande de ralentir, de laisser le mouvement venir de l’autre, ou même de la relation elle-même. Dans ces moments, l’action devient lente et tranquille. Elle ressemble à une veille plutôt qu’à une intervention.

Je crois profondément que l’essence de l’accompagnement se trouve ici. Œuvrer là où la vie nous appelle. Avancer avec justesse. Rester engagé même lorsque rien ne semble bouger. Vous connaissez peut-être ces moments où l’on ne fait presque rien et où pourtant tout change, simplement parce qu’on est resté présent.

C’est une marche. Une marche humble, attentive, qui nous rappelle que chaque pas compte, même les plus discrets.

mardi 25 novembre 2025

Le chemin tranquille de la réceptivité


Un ancien guérisseur aimait dire que la réceptivité n’est pas un talent, mais un chemin que l’on apprend à marcher. Il racontait que, dans son peuple, on ne jugeait jamais quelqu’un dont le cœur restait fermé. On savait simplement que la personne avait vécu quelque chose de difficile et qu’elle avait besoin de temps pour retrouver confiance.

Il disait souvent : « Ne te blâme pas quand tu n’arrives pas à être réceptif. Ton cœur essaie seulement de se protéger. Laisse-lui le temps de respirer. »

Pour lui, être réceptif, c’était comme apprendre à écouter les histoires que la nature raconte. Cela demande du courage, mais un courage tranquille. Il faut oser accueillir ce qui nous dérange, ce qui nous touche, ce qui nous appelle. On ne force rien. On s’ouvre doucement, comme une porte que l’on entrebâille pour laisser entrer un peu plus de lumière.

Il expliquait aussi que pour ouvrir son cœur, il faut de la douceur. La douceur, disait-il, est une forme de force. Elle nous aide à respecter nos limites, à reconnaître notre fatigue et à avancer à notre propre rythme. « Un cœur qui s’ouvre trop vite peut se briser. Un cœur qui s’ouvre au bon moment peut guérir beaucoup plus que lui-même. »

Dans sa tradition, être réceptif, c’était un engagement. Un choix quotidien : laisser une petite place en soi pour que la relation avec l’autre, avec la vie, devienne possible. Cela pouvait être un regard, un silence, un mot, une histoire. Tout commence par une porte intérieure que l’on accepte d’ouvrir.

Il disait souvent : « Chaque jour, demande-toi : qu’est-ce que j’ai laissé entrer en moi aujourd’hui? Quelle histoire ai-je accepté d’écouter? »

Selon lui, la vraie rencontre commence quand on donne une place à ce que l’autre vit, même si c’est différent de nous. Quand on accepte que la relation nous transforme un peu.

« La réceptivité, ajoutait-il, n’est pas seulement une manière d’écouter. C’est une manière de vivre. C’est une manière d’aimer. »

Et c’est dans ce mouvement, disait-il, que l’on découvre une vraie maturité intérieure : celle qui accueille au lieu de juger, celle qui écoute au lieu de contrôler, celle qui laisse la vie circuler au lieu de la retenir.

lundi 24 novembre 2025

Le moment où la relation devient le véritable lieu d’apprentissage

 

Hier, à la fin du cours sur l’écoute, quelque chose de profond s’est ouvert. Les témoignages des étudiant.es n’étaient pas de simples rétroactions. C’étaient des confidences humaines, des fragments de vécu qui révélaient une soif relationnelle bien plus vaste que ce que les cours universitaires permettent habituellement. J’ai été profondément ému, touché à cet endroit où l’on reconnaît que la relation n’est pas un supplément à l’enseignement, mais son véritable cœur.

En les écoutant, j’ai pris conscience que plusieurs étudiant.es n’ont presque jamais développé de relation humaine avec leurs enseignant.es. Ils et elles connaissent les rôles, les responsabilités, les expertises. Mais ils et elles rencontrent rarement la présence, la posture, la disponibilité intérieure qui permettent à l’enseignement de devenir une expérience vivante. Pour plusieurs, c’était la première fois qu’un cours devenait un espace où l’humanité circule librement, où un professeur se présente dans une posture d’écoute authentique, où la relation prend toute sa place.

Cela m’a rappelé à quel point notre système éducatif, avec ses logiques de performance, de contenu et d’évaluation, laisse souvent peu d’espace à la rencontre. Les étudiant.es ont soif d’une pédagogie qui reconnaît leurs expériences, leur sensibilité, leurs histoires. Ils et elles ont besoin de sentir qu’ils et elles ne sont pas seulement des destinataires de savoirs, mais des sujets en cheminement, des êtres en relation, des participant.es à un espace vivant qui les accueille.

Quand un.e étudiant.e témoigne qu’il ou elle s’est senti.e vu.e, entendu.e ou reconnu.e pour la première fois dans un contexte universitaire, ce n’est pas un simple compliment. C’est un signal. Un rappel qu’il manque encore, dans nos institutions, des espaces où la relation peut s’ouvrir sans crainte ni performance. Et c’est aussi une invitation : continuer à créer des environnements d’apprentissage où la posture compte autant que le contenu, où la présence précède la technique, où l’écoute devient un geste de reconnaissance.

Ce moment m’a confirmé que l’enseignement, lorsqu’il est habité par une écoute réelle, devient parfois un lieu de guérison des fractures subtiles que plusieurs étudiant.es portent en elles et en eux. Fractures héritées de parcours scolaires où la personne a été évaluée, encadrée, dirigée, mais rarement rencontrée. Hier, j’ai mieux compris que ce que les étudiant.es retiennent le plus de mes cours n’est pas la théorie, mais la qualité du lien, l’espace où ils et elles ont pu respirer, se dire, se découvrir autrement.

L’écoute n’est pas seulement un contenu à enseigner. C’est une manière d’habiter sa présence d’enseignant. Une manière de reconnaître l’autre dans sa dignité. Une manière d’affirmer que l’éducation prend racine là où l’humain rencontre l’humain.

Le soin se vit dans la relation

 

Prendre soin n’est jamais un geste automatique. C’est une rencontre. Une présence. Un engagement intérieur par lequel on accepte réellement d’être avec l’autre. Dans le quotidien de l’accompagnement, je vois à quel point la relation fait toute la différence. Les protocoles rassurent, mais ce sont les gestes vivants qui transforment : un regard qui accueille, une écoute qui s’ouvre, une parole simple qui allège ce qui pèse. Le soin se révèle dans cette manière d’être disponible, d’habiter l’instant sans se cacher derrière la procédure. Là où la relation circule librement, le soin devient un acte profondément humain, vibrant, presque créateur. C’est là que l’autre se sent reconnu, résonant, existant.

samedi 22 novembre 2025

La tyranie de la ligne droite

 


La ligne droite rassure. Elle avance sans hésitation. Elle fixe un début, une fin, un trajet prévu entre les deux. Dans les institutions, elle est souvent célébrée comme une forme d’efficacité. On croit que cela va plus vite, que cela clarifie, que cela simplifie. Et pourtant, dans bien des espaces humains, la ligne droite peut devenir une tyrannie subtile.

J’ai vu des rencontres où la vie était là, prête à émerger, où la spirale avait commencé à s’ouvrir. Une question sincère. Une respiration partagée. Un début d’intuition qui cherchait à prendre forme. Puis, tout à coup, la ligne droite reprend ses droits. Une voix plus rigide. Un agenda trop serré. Une urgence qui n’en est pas une. Une dynamique hiérarchique qui se glisse dans l’espace. Et le vivant se rétracte.

La tyrannie de la ligne droite n’a rien de spectaculaire. Elle est douce, polie, presque invisible. Elle se manifeste par des transitions rapides, des choix de mots, des gestes minuscules. Elle ferme ce qui aurait pu s’ouvrir. Elle impose une direction quand une exploration aurait été nécessaire. Elle coupe court à ce qui demandait du temps. Elle réduit ce qui était en train de se déployer.

Je sens cette fermeture dans mon corps. Comme un coup sec dans le ventre. Comme une contraction. Comme un appel à me retirer pour me protéger. Le champ relationnel se durcit, la parole se fait prudente, la respiration se raccourcit. La rencontre n’est plus un lieu de transformation. Elle redevient un couloir.

Accompagner, c’est apprendre à reconnaître quand la ligne droite devient une tyrannie. C’est sentir le moment où le vivant cesse de circuler. C’est accepter que certaines structures ne peuvent pas encore accueillir la spirale. Et c’est pourtant garder la spirale vivante en soi.

Il ne s’agit pas de renverser la ligne. Il s’agit de ne pas lui abandonner notre présence. La spirale peut continuer de respirer même au cœur de la rigidité. Elle peut se manifester par un silence attentif, par une question ouverte, par un regard qui relie, par un geste simple qui invite à revenir vers ce qui est vrai.

La tyrannie de la ligne droite n’est pas invincible. Elle se dissout dès que quelqu’un ose incarner la courbe du vivant. Ce n’est pas toujours visible. Ce n’est pas toujours entendu. Mais c’est ressenti. Et parfois, cela suffit pour redonner un peu de souffle à l’espace.

Accompagner, c’est devenir ce souffle. Celui qui rappelle que la vie ne se déplace pas en ligne droite. Elle tourne. Elle revient. Elle s’ouvre. Elle explore. Elle respire. Et elle se réinvente sans cesse.