Joyeux Noël.
Marquis
Accompagner en lien avec la vie. Professeur et chercheur à l’Université Saint-Paul, j’explore l’accompagnement communautaire écosystémique et intégratif autour de la proche aidance, de l’écoute et de la vitalité relationnelle. Ce blogue est un espace de réflexions et d’expériences pour nourrir une manière d’accompagner plus humaine, reliée et incarnée.
Joyeux Noël.
Marquis
La lumière arrive doucement, presque en silence.
Le solstice d’hiver nous rappelle quelque chose d’essentiel. Certaines choses importantes ne se forcent pas. Elles ont besoin de temps, de calme et de présence.
Nous entrons dans une période où nos sociétés devront réapprendre à créer des communautés de soutien émotionnel et relationnel. Des espaces où les personnes peuvent traverser des moments difficiles sans être jugées, sans être étiquetées, sans que leur vécu soit transformé en problème à corriger ou en produit à vendre.
Aujourd’hui, beaucoup de gens se sentent fatigués. Cette fatigue n’est pas seulement personnelle. Elle est collective. Elle vient d’un monde qui va vite, qui demande beaucoup, mais qui offre peu d’endroits pour déposer ce que l’on vit vraiment.
Pendant longtemps, les familles, les voisins et les communautés jouaient ce rôle. Ils offraient des repères pour traverser les grandes étapes de la vie, prendre soin d’un proche, vieillir, perdre, changer. Aujourd’hui, ces repères sont plus fragiles, et on demande souvent aux individus de tenir seuls ce qui devrait être partagé.
Le solstice nous enseigne autre chose.
Il nous montre que la lumière revient sans bruit.
Pas parce qu’on la force, mais parce qu’on lui fait de la place.
Créer des communautés de résilience, c’est peut-être simplement cela. Offrir des lieux où l’on peut parler sans être corrigé, où l’on peut être fatigué sans être pressé d’aller mieux, où l’écoute vient avant les solutions.
Ce matin, en regardant la lumière apparaître lentement à l’horizon, je me dis que les défis des prochaines années ne seront pas seulement technologiques, économiques ou politiques. Ils seront profondément humains.
Saurons-nous rester présents les uns pour les autres
quand tout va vite
quand le sens devient flou
quand la fatigue s’installe
Le solstice ne donne pas de réponses toutes faites.
Il nous invite simplement à ralentir.
À écouter.
À rester reliés.
Et peut-être, ensemble, à laisser la lumière revenir.
Vous aurez à composer avec des cadres imparfaits.
Votre responsabilité sera d’y rester humains.
Cette phrase, je la porte souvent avec moi. Elle s’est façonnée au fil des années, au contact du terrain, des institutions, des projets, des grilles, des échéanciers, des exigences bien intentionnées… et parfois déconnectées du vivant.
Les cadres sont nécessaires. Ils organisent, sécurisent, rendent des comptes possibles. Mais aucun cadre n’est capable d’embrasser toute la complexité d’une vie humaine, d’une communauté, d’un parcours de proche aidance. Il y aura toujours un décalage entre ce qui est vécu et ce qui est mesuré.
C’est là que notre responsabilité commence.
Rester humain, ce n’est pas rejeter les cadres.
Ce n’est pas se placer en opposition.
C’est habiter l’espace entre la règle et la réalité avec conscience, discernement et présence.
Rester humain, c’est écouter quand le formulaire demande de cocher.
C’est ralentir quand l’échéancier presse.
C’est nommer ce qui ne se voit pas, même si aucun indicateur ne l’attend.
C’est accepter de ne pas tout maîtriser, mais de rester en lien.
Dans les milieux communautaires, dans l’accompagnement, dans l’enseignement, nous serons souvent appelés à faire ce travail invisible : traduire le vivant dans des cadres imparfaits sans le trahir complètement. Ce n’est pas un rôle confortable. Il demande une solidité intérieure, une éthique, et parfois le courage de dire : ça, on ne peut pas le réduire sans perdre l’essentiel.
Rester humain, c’est peut-être cela, au fond :
choisir la relation avant la performance,
la présence avant la conformité,
la dignité avant la rapidité.
Les cadres passeront.
Ce qui restera, ce sont les traces laissées dans les vies que nous aurons accompagnées et dans la nôtre.
Dans un monde pressé, cet échange devient un acte de présence. Psychologiquement, il nourrit le lien. Spirituellement, il bénit la route, avec ou sans référence religieuse. Les vœux rappellent que nous avançons dans l’incertitude, mais pas dans l’indifférence. Ils sont une manière douce et consciente de se dire que, malgré tout, la vie mérite d’être vécue avec attention, dignité et confiance.
Je l’ai apprise dans les frottements, les silences, les malentendus, les élans aussi. Je l’ai apprise là où mes certitudes ont été mises à l’épreuve, là où ma manière d’être ne suffisait plus.
Entrer en communauté, ce n’est pas additionner des individus. C’est accepter que quelque chose de plus grand que soi nous transforme. La communauté m’a appris à ralentir quand j’aurais voulu agir, à écouter quand j’aurais voulu répondre, à rester quand j’aurais préféré partir.
J’y ai découvert que mes automatismes ne sont pas neutres. Que ma manière d’occuper l’espace, de parler, de décider, révèle autant mes peurs que mes forces. La communauté devient alors un miroir. Non pas un miroir complaisant, mais un miroir vivant, parfois dérangeant, toujours révélateur.
Apprendre à être autrement, en communauté, c’est aussi désapprendre. Désapprendre la maîtrise, la performance, le contrôle. Apprendre la patience, l’ajustement, le consentement au rythme des autres. Apprendre que le lien précède souvent la solution.
La communauté ne guérit pas tout. Elle n’est ni refuge parfait ni idéal à atteindre. Mais elle enseigne quelque chose de précieux : je ne peux pas devenir pleinement moi-même sans apprendre à faire de la place à l’autre. Et l’autre, à son tour, m’apprend à habiter mes propres limites avec plus de douceur.
Aujourd’hui, je crois que la communauté est une école discrète. Une école sans programme fixe, où l’on apprend surtout par la présence, par l’échec partagé, par les recommencements. Une école où l’on apprend que le mieux-être n’est pas une performance individuelle, mais une qualité du lien que l’on cultive ensemble.
La communauté, pour moi, c’est cela : un lieu où l’on apprend, lentement, à être autrement.