vendredi 21 novembre 2025

Apprendre ensemble, grandir ensemble

 

Apprendre dans un espace collectif, c’est découvrir que nos trajectoires ne sont jamais isolées et que la croissance de chacun dépend en partie de celle des autres. Dans mes cours, j’observe chaque semaine comment la présence, les récits et les gestes de l’un viennent éclairer ou apaiser ceux des autres, créant un mouvement commun où l’individuel et le collectif se nourrissent mutuellement. Ce qui se transforme en une personne ouvre souvent une possibilité nouvelle pour tout le groupe, et ce que le groupe porte avec bienveillance permet à chacun d’aller un peu plus loin dans sa propre compréhension de lui-même. C’est dans cette dynamique vivante que j’ancre de plus en plus mon enseignement : un lieu où l’on progresse ensemble, dans une réciprocité silencieuse mais profondément formatrice.

jeudi 20 novembre 2025

Sur la mémoire qui me porte

 

Il existe en moi une mémoire qui ne s’efface pas. Une mémoire tissée d’expériences, de blessures traversées, de rencontres fondatrices. C’est elle qui soutient mon engagement.

Elle me rappelle chaque jour que mon rôle n’est pas de diriger, mais d’ouvrir.
Pas de convaincre, mais de rendre possible.
Pas de porter les autres, mais de créer des espaces où ils peuvent se porter eux-mêmes.

Avec le temps, j’ai compris que mon engagement n’est pas une fonction.
C’est une fidélité.
Une orientation du cœur.
Une manière d’habiter les passages humains avec simplicité, résonance et intégrité.

Et tant que cette mémoire vivra en moi, je saurai où marcher.

mercredi 19 novembre 2025

Aller au-delà du “j’aime” et “je n’aime pas”

 

Nous passons une grande partie de nos journées à classer la réalité : j’aimeje n’aime pas. Nous le faisons presque sans y penser, comme un réflexe ancien qui colore chaque rencontre, chaque événement, chaque situation. Ce tri constant nous rassure, nous donne l’impression de maîtriser le monde. Mais il nous emprisonne aussi dans une vision étroite, centrée sur nos préférences plutôt que sur ce qui est réellement là.

Aller au-delà du j’aime et du je n’aime pas, c’est apprendre une tout autre manière de regarder. C’est accepter de rencontrer le réel avant de le juger. C’est laisser tomber, ne serait-ce qu’un instant, cette habitude de mesurer les choses à l’aune de nos désirs et de nos aversions. Cette démarche ne nie pas nos émotions ; elle les remet simplement à leur juste place. Elle nous demande de percevoir avant de réagir, d’accueillir avant de sélectionner.

Dans l’accompagnement, cette capacité est essentielle. Si je n’écoute l’autre qu’à travers ce qui me plaît ou me dérange, je n’écoute pas vraiment. Je ramène tout à moi. Je perds la subtilité du vécu de l’autre, la vérité intime qui cherche à se dire à travers sa parole, son silence ou sa fatigue. Sortir du j’aime / je n’aime pas, c’est faire de la place pour l’autre. C’est laisser la relation devenir un espace de présence plutôt qu’une scène où se projettent mes préférences.

Ce dépassement n’est pas une discipline froide ou rigide. C’est un geste de tendresse pour la réalité. Car lorsque nous cessons de classer le monde, il devient plus vaste. Les nuances apparaissent. Les zones grises deviennent des lieux d’apprentissage. Les situations difficiles cessent d’être des ennemies et deviennent des occasions de se connaître autrement.

Et quelque chose en nous s’apaise. Nous découvrons que le réel n’a pas besoin d’être aimé pour être vrai, ni d’être repoussé pour être transformé. Il suffit de le voir. De s’y tenir. D’y entrer avec un regard nu. Alors le monde cesse d’être un champ de bataille entre ce que nous voulons et ce qui arrive. Il devient un terrain d’écoute, de maturation et de discernement.

Aller au-delà du j’aime et du je n’aime pas, c’est finalement une manière d’habiter la vie avec plus de liberté. Une liberté qui ne nous arrache pas à nos émotions, mais qui nous permet de ne plus en être les otages. Une liberté qui ouvre la voie à une présence plus fine, plus stable, plus humaine.

Et peut-être est-ce là l’un des apprentissages silencieux de l’existence : voir la vie telle qu’elle est, sans la forcer à entrer dans les cadres étroits de nos préférences. La rencontrer avec assez d’espace intérieur pour la laisser être et nous transformer.

lundi 17 novembre 2025

Le feu qui éclaire et celui qui réchauffe

 

Ce matin, en regardant la flamme danser dans le foyer, une question s’est invitée en moi : qu’éclaire-t-on quand on allume le feu ? Et surtout, quel feu choisit-on d’allumer ?

Il y a le feu qui brûle, celui qui éclate, qui veut dire vrai sans détour, qui consume les illusions comme les fragilités. Il éclaire, certes, mais au prix parfois de ce qui ne peut pas encore se dire ou se tenir en lumière. Dans nos relations, ce feu devient celui de la parole tranchante, de la lucidité sans tendresse, de l’intelligence qui veut tout comprendre avant d’avoir écouté.

Et puis il y a le feu qui réchauffe, le feu du foyer, celui autour duquel on se rassemble. Il éclaire lui aussi, mais avec une douceur habitée, une lumière qui ne blesse pas. Son éclat est moins pressant, mais sa chaleur pénètre en profondeur. Il ne cherche pas à imposer une vérité, il accompagne un chemin. Il laisse la transformation émerger à son rythme, sans violence.

Dans nos pratiques d’écoute, d’enseignement ou de leadership, nous avons ce choix intime : voulons-nous brûler ou réchauffer ? Faire parler la lumière ou laisser la chaleur faire son œuvre ?

Éclairer avec un feu qui réchauffe, c’est croire que ce qui se passe à l’intérieur de l’autre est aussi précieux que ce que nous pouvons lui apporter. C’est exercer une présence qui enveloppe les blessures au lieu de les exposer. C’est préférer la lenteur de la confiance à la précipitation de la réponse.

Ce matin, je choisis d’allumer un feu qui rassemble. Un feu qui invite. Un feu qui crée un espace de présence où le courage peut naître, sans être forcé. Un feu qui réchauffe les mains tendues et éclaire juste assez pour que le chemin se révèle, pas à pas.

dimanche 16 novembre 2025

Regard sur l’accompagnement : Redevenir des êtres réceptifs

 

Hier, lors d’un atelier d’écoute et d’accompagnement que j’ai coanimé avec Bianca au Centre de protection des mineurs et des personnes vulnérables de l’Université Saint-Paul, nous étions une trentaine à nous rassembler. Des accompagnant.es de différents pays, de différentes cultures, mais unis par un même engagement : tenir un espace pour celles et ceux qui ont été blessés dans leur confiance, leur corps, leur dignité. L’enjeu était immense, le contexte exigeant. Et pourtant, c’est une simple invitation qui a ouvert le chemin : redevenir des êtres réceptifs.

Cette réceptivité n’a rien d’une fuite. Elle est le contraire de la passivité. Elle est une posture courageuse qui consiste à ne pas vouloir tout maîtriser, tout expliquer, tout réparer trop vite. Elle est une manière d’habiter la relation autrement, avec justesse, écoute et résonance. Elle demande de faire silence à l’intérieur pour que quelque chose de plus vrai puisse émerger. Elle nous ramène à ce lieu subtil où l’accompagnement devient présence plutôt que solution.

Au fil de l’atelier, les corps se sont déposés, les mots se sont faits plus vrais, plus simples. Nous avons accueilli des silences, des hésitations, des émotions contenues. Nous avons senti la fragilité des histoires évoquées, mais aussi leur force de vie. Certains ont parlé de leur pays, d’autres de leur peur de mal faire. Et pourtant, ce qui dominait, c’était la confiance qu’un autre type de lien est possible : un lien qui ne répare pas en imposant, mais qui guérit en accompagnant.

Accompagner, dans ces contextes douloureux, c’est accepter d’être soi-même affecté. D’être déstabilisé. D’être vulnérable. Notre dignité se joue là : dans la manière dont nous nous laissons toucher sans être emportés, dont nous restons présents sans nous refermer. Redevenir des êtres réceptifs, c’est croire que l’essentiel se reçoit avant de se penser. C’est reconnaître que l’autre ne se tient pas devant nous comme un problème à résoudre, mais comme une vie à accueillir.

Il y a des jours où je me dis que le rôle de l’accompagnant n’est pas tant de savoir que d’écouter. Non pas d’être l’origine, mais la résonance. Et que, dans cette posture, un espace peut s’ouvrir où la dignité blessée trouve à se redresser autrement.

Que cette voix intérieure, celle qui sait recevoir avant de vouloir donner, continue de nous inspirer.