lundi 6 octobre 2025

De la bonté naïve à la bonté lucide

Il arrive un moment dans le parcours de tout accompagnant, de tout bâtisseur de communauté ou de sens, où quelque chose en soi se transforme silencieusement. Ce n’est pas une perte d’innocence, mais un passage vers une conscience plus fine du réel.

J’ai longtemps cru que la bonté suffisait à guérir le monde. Qu’en ouvrant les bras, en offrant le cœur, en disant oui à la rencontre, la vie allait répondre avec la même transparence. J’ai confondu ouverture et abandon, confiance et naïveté. J’ai cru qu’aimer était une protection en soi, alors qu’aimer, vraiment, demande aussi de savoir discerner.

La bonté naïve croit que tout le monde veut le bien. Elle sème sans regarder la terre, parle sans écouter le vent. Elle confond l’élan du cœur avec l’absence de vigilance.
Mais un jour, la vie enseigne autrement. On découvre que certaines mains se tendent pour prendre, non pour partager. Que certaines collaborations se font à la surface, pendant que d’autres forces, plus subtiles, cherchent à dévier le sens.

Alors naît la bonté lucide.
Elle n’est pas moins ouverte, mais plus enracinée.
Elle sait que le bien n’est pas un état naturel, mais un jardin à entretenir. Qu’il faut parfois dire non pour préserver la source, se retirer pour mieux écouter, ou poser des limites pour laisser l’amour rester vivant.

Cette bonté-là ne ferme pas les portes ; elle éclaire les seuils.
Elle invite à aimer sans se perdre, à donner sans se vider, à collaborer sans se dissoudre.
Elle devient un art spirituel, celui de demeurer dans le lien tout en gardant la clarté du centre.

Aimer avec discernement, c’est comprendre que la compassion a besoin de racines autant que d’ailes.
Collaborer avec conscience, c’est reconnaître que le monde est à la fois beau et rusé.
Et bâtir avec des racines profondes, c’est accepter que tout véritable travail de transformation commence par la solidité intérieure.

Je crois que ce passage, de la bonté naïve à la bonté lucide, est une initiation universelle.
C’est celle où la lumière cesse d’être une promesse abstraite pour devenir un feu intérieur, clair, calme, fidèle.
Un feu qu’on ne brandit pas, mais qu’on entretient au cœur du monde.

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