samedi 13 décembre 2025

Et les autres, alors ? Réfléchir au langage de l’amour et du mérite


Il y a des phrases que l’on entend souvent et qui semblent positives, presque évidentes. Pourtant, certaines d’entre elles me font toujours réfléchir. Deux en particulier : « à celles et ceux que j’aime » et « tu le mérites ». Chaque fois que je les lis ou les entends, une question apparaît : et les autres ?

Dire « à celles et ceux que j’aime », c’est naturel. Nous aimons certaines personnes plus que d’autres, et c’est humain. Mais cette phrase crée aussi une limite. Elle nomme un groupe et, sans le vouloir, laisse les autres à l’extérieur. Le langage fait plus que décrire la réalité, il la façonne. Quand on parle ainsi, on trace un cercle : il y a ceux qui sont dedans, et ceux qui ne le sont pas. Cela ne veut pas dire que l’intention est mauvaise, mais cela mérite d’être remarqué. Dans la vie communautaire et dans l’accompagnement, j’ai appris que ce qui aide vraiment les gens n’est pas seulement l’amour réservé à quelques-uns, mais une présence ouverte, même envers ceux que l’on connaît peu ou que l’on n’aime pas spontanément.

L’expression « tu le mérites » me touche d’une autre façon. Elle est souvent dite pour encourager ou valoriser quelqu’un. Pourtant, elle repose sur une idée de mérite. Si une personne mérite quelque chose, cela veut dire que d’autres ne le méritent pas. Cela pose une question importante : selon quels critères ? Dans la vie, plusieurs situations ne relèvent pas du mérite. La souffrance, la maladie, la fatigue ou le deuil ne sont pas des choses que l’on gagne ou que l’on perd selon son comportement. Elles font partie de l’expérience humaine. Dans ces moments, ce dont les personnes ont besoin, ce n’est pas d’être jugées dignes ou non, mais d’être accueillies et soutenues.

Ces deux expressions montrent une tension importante dans notre manière de vivre les relations. Aimons-nous seulement ceux que nous choisissons ? Aidons-nous seulement ceux qui « le méritent » ? Dans une société où tout est souvent évalué, comparé et mesuré, cette logique peut s’infiltrer même dans nos paroles les plus bienveillantes. Pourtant, prendre soin des autres, c’est reconnaître que chaque personne a une valeur, simplement parce qu’elle est humaine.

Se demander « et qu’en est-il des autres ? », ce n’est pas rejeter l’amour ni la reconnaissance. C’est élargir notre regard. C’est chercher un langage et une attitude qui incluent plutôt que d’exclure. Peut-être que cette attention à nos mots est déjà un pas important. Elle nous rappelle que la dignité humaine ne se mérite pas. Elle existe, et elle nous appelle à une relation plus ouverte, plus juste et plus humaine.

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