Il y a dans nos sociétés un phénomène discret, mais redoutable : celui de l’urgence devenue norme. Autrefois, elle signalait l’exception ; aujourd’hui, elle rythme le quotidien. Elle infiltre nos conversations, nos décisions, nos émotions. Sous son apparence de vitalité, elle court-circuite la pensée. Elle ne cherche plus la réflexion, mais la réaction. Dans ce régime de la post-vérité, la rhétorique de l’urgence est devenue un art politique : on ne propose plus des idées, on provoque des émotions. La peur, la colère, la compassion même sont convoquées comme leviers pour orienter nos comportements. Le débat, lent et nuancé, cède la place au réflexe immédiat. Ce n’est plus la raison qui gouverne, mais le ressenti collectif, façonné à coups d’images, de slogans, de chiffres brandis comme des certitudes.
Cette logique ne s’arrête pas aux portes du pouvoir : elle s’invite aussi dans nos vies. On réclame des réponses rapides à des questions profondes, on exige des positions avant d’avoir écouté, on veut des solutions plutôt que des conversations. L’urgence devient un réflexe défensif : elle nous protège de la complexité du réel, mais elle nous coupe de la profondeur du lien. Elle nous fait oublier que certaines vérités ne se découvrent qu’à travers la lenteur, l’écoute, la maturation silencieuse. Nous confondons parfois mouvement et transformation, vitesse et profondeur, agitation et vie.
Accompagner, aujourd’hui, c’est peut-être cela : redonner droit à la lenteur, au temps long du sens. C’est oser ralentir quand tout pousse à accélérer. C’est rétablir le souffle dans une culture qui étouffe sous le rythme. C’est rappeler, doucement, que l’émotion ne doit pas nous gouverner, mais nous révéler. Et que penser, loin d’être une résistance à la vie, en est une forme profonde d’amour : celle qui relie la lucidité à la bonté, et l’action à la conscience.

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire