jeudi 9 octobre 2008

Les problèmes récurrents de nos organisations : 3 caractères fondamentaux III


La réaction :

Pendant la plus grande partie de son histoire, l'être humain a dû affronter des menaces soudaines, comme les animaux sauvages, les inondations, les tremblements de terre et les attaques de tribus ennemies. Son système nerveux a évolué en fonction de ces conditions. C'est pourquoi nous sommes mieux «équipés» pour réagir à des agressions soudaines qu'à des menaces qui se développent lentement, comme la détérioration de notre environnement par exemple. Peter Senge illustre ce phénomène par la métaphore de la «grenouille ébouillantée». Si on plonge une grenouille dans l'eau bouillante, elle tentera de bondir hors du chaudron et pourra avoir la vie sauve. Par contre, si on la plonge dans un chaudron dont l'eau est à la température de la pièce et qu'on la réchauffe graduellement, la grenouille sera ébouillantée à mort...

Cette tendance à réagir spontanément dès qu'un problème devient apparent (comme le débordement dans les salles d'urgence, par exemple), nous amène à préférer la démarche de résolution de problèmes à une approche plus créatrice exigeant des échanges et une réflexion. Celui qui résout des problèmes tente de se débarrasser d'une mauvaise situation. Le créateur, lui, tente d'inventer quelque chose de nouveau. Dans le premier cas, la motivation au changement vient de l'extérieur, tandis que dans une approche créatrice, elle vient de l'intérieur.

Un management motivé par la peur ou par une situation de crise peut produire des épisodes de changement, mais génère bien peu d'apprentissage. En outre, les crises peuvent devenir des «prophéties auto-accomplies» . En effet, parce qu'ils obtiennent des résultats à court terme, les patrons se montrent satisfaits de leurs stratégies de gestion de crise. Les employés se sentent alors encouragés à attendre la prochaine crise pour réagir. De leur côté, les directeurs, regrettant l'apparente apathie de leur personnel, sont souvent tentés de provoquer une nouvelle crise…

Les principaux obstacles à l'apprentissage sont aussi les principaux obstacles au changement durable dans les organisations: modes de pensée linéaires et réductionnistes, valorisation de la compétition, tendance à la réaction plutôt qu'à la réflexion commune, etc. Mais si on comprend comment la Vie s'organise, comment elle produit cette infinie diversité responsable de sa flexibilité et de sa résilience, il sera alors possible de créer des organisations performantes, basées sur la créativité, l'apprentissage, le changement constant et la diversité. Il y a trente ans de cela, Gregory Bateson disait qu'à la source de la plupart de nos problèmes il y a «l'écart entre le mode de pensée de l'homme et le mode de fonctionnement de la nature».

Qu'est-ce que la «théorie de Santiago» ? C'est une théorie de la cognition développée par les biologistes chiliens Humberto Maturana et Francisco Varela. Selon les deux auteurs, la cognition est le processus de création de la Vie. Pour eux, «l'acte cognitif n'est pas le simple miroir d'une réalité objective externe, mais plutôt un processus actif, enraciné dans notre structure biologique, par lequel nous créons véritablement notre monde d'expérience». En d'autres termes, lorsqu'un système vivant interagit avec son environnement, ce ne sont pas les perturbations de l'environnement qui déterminent ce qui survient dans l'être vivant, comme une force extérieure qui s'exercerait sur lui (causalité linéaire), c'est plutôt de l'intérieur que le système transforme sa propre structure en réaction à l'agent perturbateur (adaptation). Dans les systèmes vivants, les changements se produisent à l'intérieur du réseau d'interrelations qui caractérisent tous les systèmes complexes. Or, le domaine cognitif (ensemble des interactions possibles déterminées par la structure du système) croît avec la complexité du système vivant. Il va sans dire que les organisations humaines (systèmes vivants très complexes) ont un domaine cognitif presque illimité.

Fortement influencée par la «théorie de Santiago» , Margaret Wheatley rappelle que la Vie tire sa capacité de changement de sa liberté de se créer, de s'«auto-organiser» . Quand un système vivant est perturbé par une modification de son environnement, le système choisit de quelle façon il se laissera déranger par cette nouvelle information. Si la perturbation est très importante et que le système ne peut pas la traiter dans son état actuel, alors il va changer. Il va abandonner son ancienne façon d'être et se réorganiser en intégrant la nouvelle information autour de nouvelles interprétations et de nouvelles significations. Le système va devenir différent parce qu'il comprend le monde différemment. La liberté, qui a toujours été considérée comme une notion philosophique, politique ou spirituelle, apparaît aujourd'hui, en biologie, comme une condition inaliénable de la Vie.

Si nous pouvions comprendre que cette liberté de se créer, de s'auto-organiser, est aussi essentielle dans nos organisations, nous pourrions travailler avec cette grande force plutôt que de composer avec les conséquences de l'avoir ignorée. On ne peut se soumettre à la volonté de quelqu'un d'autre qu'en abdiquant notre liberté, autrement dit en «faisant le mort». Le sacrifice de la vitalité et de la créativité de l'organisation est le lourd tribut à payer pour les rigidités du système: règles strictes, structures et descriptions de tâches rigides, forte hiérarchisation, etc. Margaret Wheatley écrit que si nous voulons transformer nos organisations: «Nous devons cesser de décrire les tâches et plutôt faciliter les processus. Nous devons devenir maîtres dans l'art de créer des relations, de favoriser la croissance et l'évolution des systèmes. Nous devons développer notre capacité d'écouter, de communiquer (d'apprendre) et de travailler en équipe.»

Source : Andrée Mathieu

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