mercredi 19 novembre 2025

Aller au-delà du “j’aime” et “je n’aime pas”

 

Nous passons une grande partie de nos journées à classer la réalité : j’aimeje n’aime pas. Nous le faisons presque sans y penser, comme un réflexe ancien qui colore chaque rencontre, chaque événement, chaque situation. Ce tri constant nous rassure, nous donne l’impression de maîtriser le monde. Mais il nous emprisonne aussi dans une vision étroite, centrée sur nos préférences plutôt que sur ce qui est réellement là.

Aller au-delà du j’aime et du je n’aime pas, c’est apprendre une tout autre manière de regarder. C’est accepter de rencontrer le réel avant de le juger. C’est laisser tomber, ne serait-ce qu’un instant, cette habitude de mesurer les choses à l’aune de nos désirs et de nos aversions. Cette démarche ne nie pas nos émotions ; elle les remet simplement à leur juste place. Elle nous demande de percevoir avant de réagir, d’accueillir avant de sélectionner.

Dans l’accompagnement, cette capacité est essentielle. Si je n’écoute l’autre qu’à travers ce qui me plaît ou me dérange, je n’écoute pas vraiment. Je ramène tout à moi. Je perds la subtilité du vécu de l’autre, la vérité intime qui cherche à se dire à travers sa parole, son silence ou sa fatigue. Sortir du j’aime / je n’aime pas, c’est faire de la place pour l’autre. C’est laisser la relation devenir un espace de présence plutôt qu’une scène où se projettent mes préférences.

Ce dépassement n’est pas une discipline froide ou rigide. C’est un geste de tendresse pour la réalité. Car lorsque nous cessons de classer le monde, il devient plus vaste. Les nuances apparaissent. Les zones grises deviennent des lieux d’apprentissage. Les situations difficiles cessent d’être des ennemies et deviennent des occasions de se connaître autrement.

Et quelque chose en nous s’apaise. Nous découvrons que le réel n’a pas besoin d’être aimé pour être vrai, ni d’être repoussé pour être transformé. Il suffit de le voir. De s’y tenir. D’y entrer avec un regard nu. Alors le monde cesse d’être un champ de bataille entre ce que nous voulons et ce qui arrive. Il devient un terrain d’écoute, de maturation et de discernement.

Aller au-delà du j’aime et du je n’aime pas, c’est finalement une manière d’habiter la vie avec plus de liberté. Une liberté qui ne nous arrache pas à nos émotions, mais qui nous permet de ne plus en être les otages. Une liberté qui ouvre la voie à une présence plus fine, plus stable, plus humaine.

Et peut-être est-ce là l’un des apprentissages silencieux de l’existence : voir la vie telle qu’elle est, sans la forcer à entrer dans les cadres étroits de nos préférences. La rencontrer avec assez d’espace intérieur pour la laisser être et nous transformer.

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