Chère génération Y,
Tu as gagné.
Tu as imposé ton rythme, tes valeurs et ta vision du travail et des relations humaines. Tu as redéfini les règles, remis en question les modèles anciens, renversé les hiérarchies rigides et exigé que tout s’adapte à toi : les institutions, les entreprises, l’éducation et même les relations humaines. Tu as transformé l’autorité en influence, l’expertise en partage et la patience en immédiateté. Et moi, qui ai longtemps cru au travail acharné, au mérite et à l’engagement, je regarde le monde que tu as façonné et je décide de lâcher prise.
Je n’ai plus envie de jouer au Don Quichotte, de m’épuiser à lutter contre des moulins à vent que sont la bureaucratie rigide, les institutions figées et la résistance au changement. J’ai longtemps pensé que l’effort, la discipline et la transmission du savoir étaient les clés du progrès. Aujourd’hui, je réalise que le véritable changement ne se force pas, il émerge naturellement. Il se construit dans l’écoute, la patience et la volonté de créer ensemble, pas dans le combat ou l’opposition.
J’accepte que la médiocrité et la logique du client-roi aient pris racine dans certains milieux, que l’on confonde parfois inclusion et nivellement, participation et absence d’exigence, bienveillance et complaisance. Je vois que l’engagement sincère est devenu une option, un luxe dans un monde où l’individu est devenu un consommateur de tout, même du savoir et de l’expérience. Plutôt que de gaspiller mon énergie à me battre contre des systèmes qui s’autoalimentent et bloquent toute remise en question, je préfère la consacrer là où elle peut vraiment nourrir la réflexion et faire évoluer les choses.
Et soudain, je comprends mon père. Je comprends pourquoi, un jour, il a décidé de prendre sa retraite, non par fatigue, mais par lucidité. Il avait vu venir ce moment où le monde qu’il connaissait avait changé, où ses valeurs n’étaient plus celles du système dans lequel il travaillait. Il a su partir sans amertume, avec la sagesse de celui qui sait qu’une vague ne se retient pas. Aujourd’hui, je ressens la même chose. Je sais que chaque génération crée son propre monde et qu’il faut savoir quand il est temps de quitter certaines batailles.
Toi, qui prends l’information et la communication pour une relation, qui vis dans un monde d’échanges rapides et de connexions instantanées, tu as redéfini la manière dont on s’écoute, dont on se comprend, dont on se relie aux autres. Peut-être ai-je résisté trop longtemps, croyant que la profondeur d’un échange dépendait du temps qu’on lui accordait, que la transmission exigeait de la rigueur et de l’engagement à long terme. Mais je vois aujourd’hui que les règles ont changé, et que ce qui a de la valeur pour toi n’est pas forcément ce qui avait de la valeur pour moi.
Je choisis désormais mes combats. J’investis mon temps et mon énergie là où la qualité des relations, l’intelligence collective et la transformation véritable sont encore possibles. Je préfère la patience et la force de l’eau qui façonne la pierre, plutôt que l’agitation du vent qui ne fait que la balayer.
Tu as gagné, et je ne suis plus en guerre.
J’accepte. Et je lâche prise.
Marquis
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