Accompagner en lien avec la vie. Professeur et chercheur à l’Université Saint-Paul, j’explore l’accompagnement communautaire écosystémique et intégratif autour de la proche aidance, de l’écoute et de la vitalité relationnelle. Ce blogue est un espace de réflexions et d’expériences pour nourrir une manière d’accompagner plus humaine, reliée et incarnée.
mardi 30 septembre 2025
Le lièvre en forêt, jour de la Saint-Michel
Croiser un lièvre en ce jour de Saint-Michel, c’est recevoir l’enseignement d’un équilibre : marcher avec la lumière du discernement, mais aussi avec la souplesse de l’instinct.
lundi 29 septembre 2025
Amoureux de l’histoire que nous tissons
« Est-ce que tu m’aimes ?... cette question, si simple en apparence, est en réalité un cri du cœur qui cherche un écho. Elle n’appartient pas seulement aux amoureux : elle traverse toutes nos relations humaines. Car au fond, chacun de nous aspire à savoir si ce qu’il offre de lui-même est reçu, reconnu, honoré.
Quand je dis : « Je suis amoureux de notre histoire », je parle d’un amour qui dépasse les personnes pour s’attacher à ce qui naît entre elles. J’aime le récit vivant que nous écrivons ensemble, les passages qui nous transforment, les résonances qui nous touchent.
Aimer une histoire, c’est aimer un chemin. Ce n’est pas posséder l’autre, ni enfermer le lien dans une définition. C’est consentir à se laisser surprendre par ce qui se tisse, par la beauté imprévisible des rencontres.
Et peut-être qu’aujourd’hui, l’essentiel n’est pas tant de savoir si l’autre me dit « je t’aime », mais de rester amoureux de ce que nous créons ensemble. Car aimer l’histoire, c’est déjà aimer la vie qui circule entre nous.
Marquis
samedi 27 septembre 2025
Écouter autrement, accompagner les conflits avec humanité
Aujourd’hui marque le début du cours ECS 2721 – Écoute et interaction en résolution de conflit à l’Université Saint-Paul.
Durant trois fins de semaine intensives, les étudiant.es exploreront l’art d’écouter autrement, d’habiter les conflits avec humanité et de transformer les relations par la rencontre.
Au programme :
-Développer une posture de médiation fondée sur la présence et l’écoute
-Expérimenter le travail en triades et en laboratoires réflexifs
-Découvrir des approches inspirées de la médiation transformatrice, de la résonance et de l’intelligence émotionnelle
Un cheminement exigeant mais profondément porteur : apprendre à accueillir l’autre dans son altérité et à créer des espaces relationnels dignes et vivants.
Bonne rentrée à toutes et à tous dans cette aventure d’apprentissage et de transformation !
vendredi 26 septembre 2025
La francophonie n’est pas un héritage figé : elle est un acte vivant de présence et de transformation.
Il y a trente ans, le Collège des Grands Lacs portait nos rêves d’éducation postsecondaire en français en Ontario. J’ai eu la chance d’y contribuer et, même si cette institution n’existe plus aujourd’hui, elle continue de vivre en moi comme une étincelle.
Être ici, à l’Université Saint-Paul, pour inaugurer la Place de la francophonie, c’est comme ouvrir un nouveau livre. Nous ne tournons pas la page pour oublier, mais pour écrire une suite, ensemble.
Le drapeau qui flotte ici est plus qu’un symbole : il est témoin de notre présence. Présence d’individus, de générations, d’institutions qui ont construit pas à pas cette histoire franco-ontarienne.
Et ces trois arbres que nous venons de planter me parlent profondément : le chêne, force de nos luttes et de nos enracinements ; l’érable, signe de notre transformation et de notre renouveau ; le ginkgo, mémoire et résilience, rappel que même après les tempêtes, la vie reprend.
Aujourd’hui, avec le Collège Boréal désormais à l’USP, avec l’ACUFC installée aussi ici, nous voyons que ce livre de la francophonie continue de s’écrire. Et je choisis de croire que ce que nous écrivons ensemble ici et maintenant, dans ce lieu, portera loin,
pour d’autres générations.
Merci.
Marquis
Quand la vérité rencontre l’amour
Une pensée matinale...
La vérité, lorsqu’elle se présente sans amour, devient pierre. Elle frappe, mais ne construit rien. Elle révèle, mais n’ouvre aucun chemin.
L’amour, lorsqu’il se donne sans vérité, devient voile. Il réchauffe un instant, mais il cache ce qui demande à être vu.
C’est dans l’union des deux que la transformation naît : la vérité portée par l’amour devient semence, et l’amour habité par la vérité devient lumière.
Alors, nos paroles ne sont plus des armes ni des fuites, mais des gestes d’enfantement.
Photo : 25 septembre 2025, ouverture de la Place de la Francophonie à l'Université Saint-Paul pour marquer le 50e anniversaire du drapeau Franco-Ontarien.
« La langue et la culture, c’est avant tout un processus de construction résultant du faire-ensemble et de l’emploi du sens, et non strictement une adhésion à une tradition. » Langue et culture, 2007.
jeudi 25 septembre 2025
Vieillir c'est choisir la vitalité et le sens à chaque étape
Évènement de Académie des retraités de l’Outaouais
50 ans du drapeau franco-ontarien : un héritage vivant à l’Université Saint-Paul
Aujourd’hui, à l’Université Saint-Paul, nous célébrons avec fierté et émotion le 50ᵉ anniversaire du drapeau franco-ontarien. Fondée en 1848, notre université s’inscrit dans la longue histoire des communautés francophones qui, génération après génération, ont porté haut la flamme de la langue et de la culture en contexte minoritaire.
Comme membre du comité sur la francophonie, j’ai le privilège de participer à l’organisation de cet événement, marqué par la levée solennelle du drapeau et l’inauguration de la Place de la francophonie. Ces gestes ne sont pas que symboliques : ils rappellent notre enracinement, notre résistance et notre engagement à bâtir un avenir où chaque voix minoritaire peut se faire entendre et rayonner.
Pour moi, cette célébration est plus qu’un moment institutionnel : c’est l’expression d’une longue histoire d’amour avec la francophonie, une fidélité enracinée dans mon parcours personnel et communautaire. Cette histoire continue d’éclairer mes recherches sur l’accompagnement, la dignité relationnelle et la vitalité des cultures minoritaires.
Aujourd’hui, en élevant ce drapeau, nous honorons non seulement notre passé, mais aussi la force vivante d’un peuple qui persévère, qui espère et qui crée.
mardi 23 septembre 2025
La force des marges
L’autre me rappelle que je ne suis pas tout.
Il m’oblige à sortir de ma bulle de certitudes, à voir plus large que mes propres frontières intérieures.
La marge me montre l’espace où il est relégué.
C’est là, dans les périphéries de nos sociétés, que se cachent les visages souvent ignorés, les voix qu’on entend à peine.
La minorité me révèle que la vie collective n’est jamais complète sans ses voix oubliées.
Une démocratie qui n’écoute que le cœur bruyant de sa majorité reste inachevée : elle se prive de la nuance, de l’inattendu, du souffle créatif qui vient de ses bords.
Et si la vraie force d’une société n’était pas dans le poids de sa majorité, mais dans l’attention qu’elle porte à ses marges ?
Car une société ne se juge pas seulement à sa prospérité ou à sa stabilité, mais à sa capacité d’accueillir ses fragilités et d’inclure ses différences.
C’est souvent là, au bord du chemin, que germe la vitalité qui nous sauve.
Dans le silence de celles et ceux qu’on n’entend pas assez, une semence de nouveauté pousse, discrète mais tenace.
Ce sont ces marges qui, patiemment, rappellent au centre ce qu’il avait oublié : qu’une société n’est jamais un bloc figé, mais un jardin en devenir.
lundi 22 septembre 2025
Ce qui tombe, ce qui reste, ce qui naît
Certains mots nous accompagnent longtemps avant de trouver leur juste forme. Pour moi, l’idéal n’est pas une abstraction rangée dans un coin de l’esprit, mais une force vivante qui cherche à s’incarner dans le quotidien, dans la manière d’habiter mes relations, mes engagements et les passages de ma vie.
Mon idéal est celui d’une cohérence vivante : que ce que je crois, ce que je dis et ce que je fais puissent respirer ensemble. J’appelle cela une écologie du lien : la conviction que nos paroles, nos gestes et nos structures de vie doivent s’accorder à nos valeurs profondes, comme les racines, le tronc et les branches d’un arbre participent d’une même unité.
Cet idéal m’invite à cultiver la résonance plutôt que l’aliénation : à percevoir dans chaque rencontre, chaque silence et chaque passage de vie, une possibilité de transformation partagée. Il m’appelle à honorer la dignité en chaque être, à me souvenir que chacun porte une valeur inaliénable, même lorsque la société l’oublie.
L’automne me rappelle cette quête d’alignement. Comme les arbres qui laissent aller leurs feuilles, nous sommes invités à discerner : qu’est-ce qui doit tomber parce qu’il n’est plus en accord avec notre idéal? Qu’est-ce qui mérite d’être gardé parce qu’il nourrit encore notre vie? Quelles graines, déjà présentes, attendent de germer dans une autre saison?
Habiter son idéal, c’est accepter un chemin imparfait, fait d’hésitations et de recommencements, mais profondément vrai. C’est apprendre à se relever, à réajuster, à retrouver la cohérence perdue, sans jamais oublier ce qui nous anime.
Et vous, en ce temps d’automne, si vous laissiez tomber les feuilles mortes de votre existence, quel idéal resterait au cœur de votre arbre de vie?
dimanche 21 septembre 2025
Intelligence émotionnelle et pratique sensible aux traumatismes : un chemin pour l’accompagnement communautaire
La recherche internationale montre que plus de 70 % des adultes dans le monde vivront au moins un événement potentiellement traumatique au cours de leur vie (Benjet et al., 2016; OMS, 2022). Accidents, violences, deuils, maladies graves : autant d’expériences qui bouleversent nos repères. Pourtant, seule une minorité développera un trouble de stress post-traumatique (PTSD). La différence tient souvent à la manière dont ces expériences sont reconnues et accompagnées.
C’est dans cette perspective que nous avons animé deux ateliers intitulés Intelligence émotionnelle pour une pratique sensible aux traumatismes. Ces rencontres ont permis d’explorer comment unir la recherche et l’expérience de terrain pour nourrir une posture d’accompagnement plus attentive, à la fois aux émotions individuelles et aux dynamiques communautaires.
L’intelligence émotionnelle comme ressource
Mayer et Salovey définissent l’intelligence émotionnelle comme la capacité à percevoir, comprendre et réguler ses émotions et celles des autres. Dans le contexte du trauma, ces compétences prennent une valeur particulière :
reconnaître les émotions de survie (peur, colère, repli, hypervigilance) comme des réponses adaptatives;
comprendre leur fonction;
aider à les réguler sans les juger ni les pathologiser.
Une pratique sensible au trauma repose aussi sur les principes de sécurité, confiance, choix, collaboration et empowerment (SAMHSA, 2014). Elle demande à l’accompagnant d’entrer dans une relation où la dignité de la personne est préservée, où la vulnérabilité est accueillie, et où la résonance (Rosa, 2018) peut se rétablir.
Trois apprentissages des ateliers
De nos ateliers, trois enseignements majeurs se dégagent :
Ralentir pour accueillir : offrir un espace où le temps s’élargit, loin de la précipitation, devient déjà une forme de soin.
Reconnaître la vulnérabilité comme force : ce qui paraît fragilité peut devenir un lieu d’humanité partagée.
Réguler ses propres émotions comme accompagnant : sans conscience de soi, on risque la sur-implication ou la retraumatisation.
Ces apprentissages se sont incarnés dans de petits exercices pratiques : nommer une émotion présente, respirer ensemble, partager une expérience de soutien collectif. Des gestes simples, mais porteurs de transformation.
Vers une posture d’accompagnement communautaire
Comment intégrer ces enseignements dans la vie communautaire ?
Au niveau individuel : créer des cercles d’écoute sécurisants où chacun peut nommer ses émotions et retrouver des ressources intérieures.
Au niveau collectif : former les intervenants et bénévoles à la sensibilité au trauma. Les groupes peuvent devenir des espaces de régulation partagée et de résonance.
Au niveau institutionnel : plaider pour que les politiques publiques reconnaissent l’importance des dimensions émotionnelles et relationnelles de l’accompagnement, souvent négligées au profit de l’approche strictement fonctionnelle.
L’accompagnement communautaire se situe à l’interface entre la famille et les institutions. C’est un « tiers-espace » où la dignité peut être restaurée et où les communautés deviennent actrices de guérison.
Conclusion
Relier intelligence émotionnelle et pratique sensible aux traumatismes, ce n’est pas ajouter une méthode de plus, mais cultiver une manière d’habiter le lien. C’est reconnaître que les émotions ne sont pas des obstacles, mais des chemins vers la résilience et la dignité.
Dans une société où la vulnérabilité est trop souvent stigmatisée, l’accompagnement communautaire rappelle que nous pouvons faire de nos blessures une source de profondeur partagée. Là où l’intelligence émotionnelle rencontre la pratique sensible au trauma, se dessine une écologie du lien capable de soutenir la transformation, tant des individus que des communautés.
Références :
Benjet, C. et al. (2016). The epidemiology of traumatic event exposure worldwide.
OMS (2022). Post-traumatic stress disorder – Fact sheet.
Mayer, J. D., & Salovey, P. (1997). What is emotional intelligence?
SAMHSA (2014). Concept of Trauma and Guidance for a Trauma-Informed Approach.
Paul, M. (2004). La posture d’accompagnement.
Rosa, H. (2018). Résonance.
Fleury, C. (2019). Ci-gît l’amer.
samedi 20 septembre 2025
Intelligence émotionnelle et trauma : une clé pour l’accompagnement communautaire
Quand on parle d’intelligence émotionnelle dans une approche informée par les traumatismes, il s’agit d’abord d’apprendre à écouter et à reconnaître ce que vivent les personnes. Cela veut dire créer un climat sécurisant, bâtir la confiance et accueillir les émotions sans jugement.
Dans les milieux communautaires, cette posture va bien au-delà de la simple offre de services. Elle ouvre un espace où chacun peut transformer ses blessures en force et retrouver dignité et mieux-être grâce au soutien du groupe.
Daniel Goleman (1995) a montré que l’intelligence émotionnelle repose sur la conscience de soi, la régulation des émotions et l’empathie. Ces compétences deviennent essentielles quand on accompagne des personnes marquées par des expériences de trauma. Comme l’ont rappelé des chercheuses comme Judith Herman (1992) ou Bessel van der Kolk (2014), la sécurité est toujours la première étape de la guérison. Sans elle, rien de durable ne peut s’ancrer.
C’est là que l’approche informée par les traumatismes (SAMHSA, 2014) et l’accompagnement communautaire se rejoignent : l’une insiste sur la sécurité, la confiance et l’autonomisation; l’autre sur la résonance et la qualité du lien. Ensemble, elles permettent de dépasser une logique de prestation pour habiter une logique de transformation.
Maëla Paul (2017) le rappelle : accompagner n’est pas seulement une fonction, c’est une posture et une relation. L’intelligence émotionnelle devient alors le fil conducteur qui aide les accompagnants à réguler leurs propres émotions, à reconnaître les signaux de détresse et à créer des espaces où la vulnérabilité peut devenir une force.
En somme, intégrer l’intelligence émotionnelle dans une approche sensible aux traumatismes, c’est donner aux communautés la possibilité de devenir des lieux de résonance. Des lieux où la douleur ne se nie pas, mais se transforme; où la dignité n’est pas une idée abstraite, mais une expérience vécue.
vendredi 19 septembre 2025
Ni d’une rive, ni de l’autre, mais du courant
« Je suis né sur une rive, j’ai grandi sur l’autre, je travaille d’un côté et j’ai choisi de vivre de l’autre. Ma vie s’écrit dans ce va-et-vient, comme si la rivière était devenue le fil secret de mon identité. Elle n’est pas qu’un passage ou une frontière : elle est un courant, un souffle, un espace où je me reconnais. »
Depuis toujours, on voudrait me situer : suis-je franco-ontarien ou québécois? Mais mon lieu véritable n’est pas une rive, c’est le courant. La rivière me rappelle que l’identité n’est pas figée. Elle coule, elle se transforme, elle relie et elle sépare tout à la fois.
Être franco-ontarien m’a appris la ténacité, la fierté et la force de défendre une langue dans un monde qui ne la reconnaissait pas toujours. Vivre en Outaouais m’a permis de m’enraciner dans une autre expérience francophone, riche de ses propres luttes et de ses propres fragilités.
Et moi, je me tiens entre les deux. Cet entre-deux pourrait sembler inconfortable, mais il est devenu ma maison. Là, dans la fluidité du passage, j’ai découvert une identité plus vaste : celle d’un passeur. Ni uniquement de là-bas, ni complètement d’ici, mais présent dans les deux à la fois.
Être passeur, c’est accepter de vivre dans l’espace mouvant de la rivière. C’est apprendre à traduire, à relier, à bâtir des ponts. C’est découvrir que l’identité n’est pas seulement un héritage, mais aussi un mouvement, un souffle, une responsabilité. Dans ce tiers espace, j’ai trouvé la cohérence de mon parcours et la source de mon engagement : accompagner les autres à habiter leurs propres passages, à transformer leurs frontières en chemins, et à reconnaître que la force de nos liens dépasse toujours la rigidité de nos appartenances.
Ainsi, je ne suis pas prisonnier d’une étiquette. Je suis le fils d’une rive, le citoyen de l’autre, mais avant tout, l’habitant de la rivière qui les relie. Et c’est de cet espace fluide que je puise mon inspiration pour écouter, accompagner et contribuer à un monde où la résonance a plus de poids que les divisions.
Quand la résonance devient santé collective
Au lendemain de ma participation au Forum Santé Outaouais 2025, je retiens avec force combien les priorités évoquées : le recrutement et la rétention des professionnels de la santé, le vieillissement de la population et l’impact sur les proches aidants, ainsi que les défis de la scolarisation rappellent une vérité essentielle : la santé ne se construit pas uniquement dans les institutions. Elle s’enracine aussi dans la vitalité des communautés, dans la capacité des organismes et des citoyens à créer des espaces de soutien, de résonance et de solidarité.
Des travaux récents de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) montrent que l’action des organismes communautaires ne se limite pas à un rôle de soutien social : elle contribue aussi à réduire la pression sur le système public de santé. Cette démonstration renforce l’importance d’examiner, dans une perspective territoriale comme celle de l’Outaouais, la valeur de l’accompagnement communautaire auprès des proches aidants, tant pour le mieux-être des individus que pour la durabilité des services collectifs (Langevin, 2025).
C’est à ce croisement entre les politiques publiques, les réalités communautaires et l’expérience humaine que se joue l’avenir de notre région.
jeudi 18 septembre 2025
L’illusion de l’individualisme : entre liberté apparente et soumission invisible
On nous répète que nous vivons dans une société de plus en plus individualiste. Chacun chercherait à se distinguer, à tracer son propre chemin, à se réaliser par soi-même. Pourtant, un paradoxe s’impose : jamais nous n’avons été aussi soumis aux logiques collectives, aussi orientés dans nos choix, aussi manipulés dans nos désirs.
Une liberté en trompe-l’œil
La modernité nous invite à croire que nous décidons seuls. Mais ce « je choisis » est souvent façonné par des influences invisibles : normes sociales, récits médiatiques, tendances culturelles. Comme l’a montré René Girard, nous désirons rarement en toute autonomie; nous imitons, parfois inconsciemment, le désir de l’autre. L’individualisme vanté devient alors un mimétisme masqué.
La soumission douce et consentie
Michel Foucault décrivait le « biopouvoir » : une forme de domination qui ne contraint pas par la force, mais qui organise nos vies, régule nos comportements, jusqu’à nos manières de penser. Aujourd’hui, ce pouvoir agit à travers les réseaux sociaux, les algorithmes, les indicateurs de performance. Nous ne sommes pas simplement surveillés; nous apprenons à nous surveiller nous-mêmes. La soumission devient intériorisée, douce, presque invisible.
La manipulation des affects
Le plus inquiétant n’est pas seulement la manipulation de nos opinions, mais celle de nos émotions. Hartmut Rosa souligne que notre société d’accélération érode notre capacité de résonance : au lieu de rencontrer le monde dans sa profondeur, nous sommes happés par un flux constant de stimulations. Nos affects deviennent une matière première exploitée, captée par l’industrie de l’attention.
Retrouver le chemin de la communauté
Faut-il alors rejeter l’individualité? Non, car elle est aussi source de singularité et de créativité. Mais il est urgent de retisser l’articulation entre liberté personnelle et solidarité collective. La lucidité consiste à déjouer les illusions de la manipulation et l’espérance s’enracine dans des lieux de résistance : cercles de parole, communautés d’apprentissage, espaces de résonance où l’on réapprend à choisir.
Peut-être que la véritable liberté ne consiste pas à être un individu isolé, mais à devenir un être singulier capable de s’inscrire dans des liens, sans se laisser avaler par les logiques de manipulation. Une liberté incarnée dans le lien, nourrie par l’écoute, la présence et la solidarité.
Accompagner autrement : de la statistique au visage
En Outaouais, le soutien à domicile (SAD) repose trop souvent sur les proches et le privé : la part d’heures de SAD offertes par le réseau public est parmi les plus faibles au Québec, créant des barrières d’accès et des inégalités importantes. Dans le Pontiac et la Vallée-de-la-Gatineau, 10 communautés sur 12 figurent parmi les plus défavorisées du Québec. Derrière ces données, il y a des visages, des familles, des proches aidants qui portent le poids du quotidien.
Je m’y rends donc avec cette conviction : ma recherche doctorale sur la posture d’un accompagnement communautaire n’est pas qu’une démarche académique, mais un engagement à écouter, relier et chercher ensemble des voies de transformation.
Aujourd’hui, je choisis d’aller à la rencontre de ces voix.
mercredi 17 septembre 2025
Solitude choisie, solitude non-choisie, isolement
Il y a des silences qui réconfortent… et d’autres qui écrasent. Des moments de solitude qui apaisent comme un souffle doux, et d’autres qui pèsent comme une pierre dans la poitrine. Vieillir, c’est souvent apprendre à marcher entre ces deux rivages.
La solitude choisie est une alliée discrète. On la retrouve dans le froissement d’un livre qu’on ouvre le matin, dans la chaleur d’un thé fumant partagé avec soi-même, dans une promenade où les pas résonnent seuls sur un sentier humide après la pluie. Cette solitude-là n’est pas un vide, mais un espace plein : elle permet de respirer plus large, de revenir à soi, de goûter à l’essentiel. Paradoxalement, elle rend aussi les rencontres plus vraies, car celui qui sait habiter le silence rencontre l’autre avec plus de profondeur.
À l’inverse, il y a la solitude non-choisie. Celle qui s’impose comme un vent froid qui s’infiltre malgré soi. Elle surgit après un deuil, un départ, un effacement progressif des liens. Elle ne console pas, elle fragilise. Dans ce silence-là, le temps ne s’élargit pas : il se resserre. On a l’impression d’être mis de côté, oublié. Cette solitude appelle une réponse humaine, une main tendue, une communauté qui dit : tu n’es pas seul, nous sommes là.
Et puis, il y a l’isolement. Plus qu’un sentiment, c’est une condition. Comme une maison fermée où les fenêtres ne s’ouvrent plus. Isolement géographique des villages éloignés. Isolement social quand les amis disparaissent un à un. Isolement institutionnel lorsque les systèmes ne parviennent plus à rejoindre ceux qui en auraient le plus besoin. L’isolement n’est pas seulement une douleur intime : il ronge la dignité et appauvrit la société tout entière.
Vieillir avec la communauté, c’est apprendre à aimer la solitude choisie, accompagner la solitude non-choisie, et refuser l’isolement. C’est transformer le passage du temps en un chemin de croissance, au lieu d’un repli. Car vieillir ainsi, reliés et reconnus, c’est déjà faire l’expérience de ce que nous cherchons tous : un épanouissement profondément humain.
mardi 16 septembre 2025
Quels récits collectifs portons-nous autour de la vieillesse, du soin et de la dignité?
Nous vivons encore, trop souvent, avec des récits façonnés par la logique de la performance : la vieillesse est perçue comme un déclin, le soin comme un fardeau, la dignité comme quelque chose de fragile qui s’effrite avec la perte d’autonomie. Ces récits dominants, hérités d’un monde centré sur l’efficacité, réduisent les personnes âgées à leurs vulnérabilités et invisibilisent leur richesse humaine.
Pourtant, d’autres récits existent et méritent d’être nourris. La vieillesse peut être vue comme un passage habité de sagesse et de transmission. Le soin peut être compris comme une rencontre, une relation réciproque où chacun apprend et grandit. La dignité peut être reconnue comme un socle inaliénable, qui demeure intact même au cœur de la fragilité.
La question n’est donc pas seulement de constater quels récits nous portons, mais de décider lesquels nous voulons faire vivre. Car c’est par les récits que nous cultivons, dans nos familles, nos communautés et nos institutions, que se construit notre manière de vieillir ensemble et de demeurer humains.
lundi 15 septembre 2025
Quand une majorité se sent minoritaire : le point de bascule ?
Aux États-Unis comme au Québec, cette question résonne avec une intensité particulière.
Le paradoxe des majorités fragiles
Dans un premier regard, une majorité est censée être stable : elle possède le nombre, les institutions, la légitimité historique. Mais la réalité est plus complexe. Aux États-Unis, une partie de la population blanche vit avec la conscience grandissante qu’elle n’est plus « la norme évidente » : l’émergence démographique et culturelle des communautés afro-américaines, hispaniques et asiatiques annonce un renversement de proportions. Au Québec, plusieurs francophones vivent une situation paradoxale : majoritaires dans leur territoire, mais minoritaires en Amérique du Nord, ils se sentent assiégés par la force de l’anglais, par la mondialisation et par l’érosion de certains repères culturels.
Dans les deux cas, la majorité se vit comme fragile, menacée, vulnérable.
Le point de bascule
Ce sentiment de minorisation agit comme un révélateur. Il peut devenir un point de bascule de deux manières opposées :
Du côté de la peur : il nourrit la tentation du repli, du populisme, d’un nationalisme défensif. Quand une majorité se croit en danger, elle peut chercher à imposer sa survie par l’exclusion, le rejet ou la crispation identitaire.
Du côté de la transformation : il peut aussi devenir une invitation à repenser l’identité autrement. Non plus comme une forteresse à défendre, mais comme une relation vivante à redéfinir. C’est là un chemin exigeant, car il demande d’accepter que rien n’est garanti ni figé.
Le basculement advient précisément quand la majorité cesse de se vivre comme une évidence, et qu’elle doit justifier son rôle, son sens, sa place. C’est un moment à la fois fragile et fécond.
Apprendre des minorités
Il y a ici une sagesse possible. Lorsqu’une majorité se vit comme minoritaire, elle fait l’expérience de ce que les minorités connaissent depuis toujours : la précarité, la nécessité de se battre pour sa reconnaissance, l’importance vitale des solidarités. Ce renversement peut alors devenir une école d’humilité et de créativité.
Il invite à sortir de la logique du pouvoir qui impose, pour entrer dans la logique du vivre-ensemble qui compose.
Une lecture spirituelle et communautaire
Dans l’accompagnement communautaire comme dans la vie spirituelle, ce point de bascule peut être compris autrement : il ouvre la possibilité d’une conscience plus large. La majorité qui se découvre fragile peut apprendre à habiter le monde non plus contre les autres, mais avec eux.
Avancer avec et non malgré, voilà peut-être le cœur de ce basculement. Reconnaître nos fragilités collectives, les accueillir, et leur donner une place dans la mélodie plus vaste de nos sociétés. Car c’est peut-être là que réside l’avenir : dans une majorité qui cesse de se croire intouchable, pour apprendre enfin à vivre dans la résonance, la dignité partagée et l’ouverture à l’autre.
dimanche 14 septembre 2025
La posture : habiter le lien avant l’action
On me demande souvent : « Marquis, tu parles de posture, que veux-tu dire au juste ? »
Pour moi, la posture n’est pas une technique ni un rôle que l’on joue. C’est une manière d’habiter le lien : avec soi, avec l’autre et avec la vie. Elle est ce qui précède l’action et lui donne sa qualité. Là où une compétence peut s’apprendre et un rôle peut s’endosser, la posture se cultive, se façonne dans le temps, comme une présence intérieure qui oriente nos gestes et nos paroles.
Dans l’accompagnement, la posture c’est la façon dont je me tiens dans la relation : suis-je ouvert ou fermé ? Disponible ou distrait ? Suis-je dans le désir de contrôler, ou dans la confiance que l’autre porte déjà en lui une part de sa réponse ? La posture révèle ce que j’incarne plus que ce que je sais.
Ainsi, accompagner ce n’est pas seulement faire ou dire les bonnes choses, c’est surtout choisir comment être : avec écoute, dignité, humilité, parfois silence… Une posture n’est jamais acquise une fois pour toutes. Elle est vivante, fragile et toujours à revisiter. C’est un chemin, plus qu’un état.
jeudi 11 septembre 2025
Le pardon : entre psychologie et rituel collectif
Fred Luskin, chercheur à l’Université Stanford et auteur de Forgive for Good (Forgive for Good: A Proven Prescription for Health and Happiness, 2002), définit le pardon comme un processus psychologique et pragmatique. Pardonner, explique-t-il, signifie accéder à une forme de paix intérieure en « relâchant la souffrance » et en cessant d’exiger que la vie se conforme à nos attentes. Selon lui, la colère et la rancune naissent souvent du fait qu’un événement ne correspond pas à ce que nous espérions. Le pardon devient alors un choix, un acte de liberté : blâmer moins, prendre la situation moins personnellement et transformer notre récit intérieur (Luskin, 2002, 2021).
Dans cette perspective, Luskin (2007) distingue trois types de pardon : interpersonnel (pardonner une offense commise par un autre), intrapersonnel (se pardonner à soi-même) et existentiel (pardonner la vie, Dieu ou la nature pour les épreuves subies). Il rappelle que personne n’est obligé de pardonner : il s’agit d’une décision personnelle qui libère de la souffrance sans justifier l’offense ni exiger un retour à une relation toxique. Ces distinctions mettent en lumière une vision psychologique centrée sur le choix individuel et la gestion de l’expérience intérieure.
À cette conception rationnelle et personnelle s’ajoute une autre approche : celle des Cercles de Pardon, créés par Olivier Clerc (Le don du pardon, 2010 ; Peut-on tout pardonner ?, 2019) et diffusés par l’Association du Pardon International. Les Cercles proposent une expérience symbolique et collective : les participants déposent leur vécu dans un espace sécurisant, soutenu par la présence d’autrui et par des rituels qui engagent le corps, la parole et le cœur. Ici, le langage n’est pas celui de la « gestion » de la souffrance, mais celui de la libération intérieure et de la réouverture à l’amour.
Alors que Luskin insiste sur le choix rationnel, décider de pardonner pour alléger sa vie, les Cercles soulignent la dimension relationnelle et spirituelle : se libérer de la rancune pour retrouver une circulation d’amour, en soi et entre les autres. Là où Luskin met en avant une pratique individuelle, les Cercles mobilisent la force du collectif et du rituel pour transformer le pardon en expérience incarnée et partagée.
Ces deux perspectives ne s’opposent pas, elles se complètent. L’une offre une base psychologique et rationnelle, l’autre inscrit ce choix dans une expérience communautaire et spirituelle. Ensemble, elles révèlent la profondeur du pardon, à la fois compétence humaine et chemin de transformation intérieure et relationnelle. En réunissant la clarté psychologique de Luskin et la dimension symbolique des Cercles, le pardon apparaît comme une pratique universelle qui relie l’intime et le collectif, la raison et le cœur.
Références
Clerc, O. (2010). Le don du pardon. Paris : Éditions Trédaniel.
Clerc, O. (2019). Peut-on tout pardonner ?. Paris : Éditions Trédaniel.
Luskin, F. (2002). Forgive for Good: A Proven Prescription for Health and Happiness. New York : HarperCollins.
Luskin, F. (2007). The choice to forgive. Greater Good Magazine. UC Berkeley.
Luskin, F. (2021). What is forgiveness? Greater Good Science Center. https://greatergood.berkeley.edu
Travailler, c’est demeurer vivant dans la relation
On me demande parfois : « Marquis, es-tu à la retraite ? »
Je souris, parce que derrière cette question se cache une conception bien précise du travail : celle qui le réduit à produire, à remplir des tâches, à accumuler des résultats.
Pour moi, travailler, c’est beaucoup plus que produire. C’est vivre en relation, demeurer présent au monde et aux autres. C’est écouter un proche aidant raconter sa fatigue, partager un silence avec quelqu’un qui souffre, transmettre à mes étudiants le goût de chercher un sens plus grand à leurs engagements. Ces gestes-là ne figurent dans aucun rapport statistique, et pourtant ils comptent.
Je ne suis peut-être plus dans les logiques d’une carrière qui avance au rythme des bilans et des promotions. Mais je n’ai pas quitté le travail : je l’habite autrement. Je le trouve dans la profondeur d’une conversation, dans un cercle où la parole circule, dans un espace où un peu de lumière jaillit.
La retraite, si elle signifie s’arrêter de produire, peut être une libération. Mais elle n’interrompt pas l’élan d’un être humain qui cherche à contribuer, à transmettre, à être relié. Tant que je continue à marcher avec d’autres, à accompagner et à m’émerveiller de ce qui naît dans la rencontre, je travaille encore... peut-être plus que jamais.
mercredi 10 septembre 2025
La sagesse de l’inconnu
On dit souvent que le savoir, c’est le pouvoir. Pourtant, comme le rappelle Adam Grant, la vraie sagesse ne réside pas seulement dans ce que nous savons, mais dans la lucidité d’admettre ce que nous ne savons pas. Reconnaître nos zones d’ombre ouvre un espace d’humilité et de curiosité. C’est là que naissent les vraies rencontres, les apprentissages durables et les transformations profondes.
En communauté, cette posture change tout : au lieu d’imposer nos certitudes, nous entrons dans un dialogue vivant, où chacun apporte une pièce du puzzle. La sagesse est peut-être moins dans l’accumulation des connaissances que dans la capacité d’écouter, d’accueillir et de s’émerveiller devant ce qui reste encore à découvrir.
Aujourd’hui, puis-je marcher avec la conscience de ce que j’ignore, comme une invitation à rester ouvert au mystère, à l’autre et à la vie elle-même.
mardi 9 septembre 2025
L’intuition : ce fil invisible qui nous guide
Il m’arrive souvent de constater que l’intuition se manifeste dans les petits gestes de la vie. Ce n’est pas toujours un grand éclat, mais une douce certitude qui s’impose. Comme lorsque je prends un chemin différent en marchant et que j’y découvre une rencontre inattendue. Ou quand, au milieu d’une conversation, je sens que je dois simplement écouter sans chercher à répondre.
Dans mon travail d’accompagnement, l’intuition me rappelle parfois de poser une question que je n’avais pas prévue, et c’est alors que la personne en face de moi s’ouvre. Dans ma vie personnelle, elle me souffle de ralentir, de prendre un appel, ou de dire un mot simple qui, sans que je le sache, tombe au moment juste.
L’intuition, c’est ce fil invisible qui relie nos expériences passées à l’instant présent, et qui nous guide vers ce qui est vivant et vrai, au-delà des calculs et des plans. Elle demande confiance, silence intérieur et courage d’écouter ce qui se lève en nous, même si nous ne savons pas tout expliquer.
Aujourd’hui, je choisis de marcher avec mon intuition comme on marche avec un compagnon discret : parfois en tête, parfois en retrait, mais toujours présent.
lundi 8 septembre 2025
Quand la prudence devient plus risquée que le courage
Dans la vie, il est parfois plus dangereux d’être prudent que d’être courageux.
La prudence excessive nous enferme : elle nous retient d’oser, d’aimer, de créer, de dire oui à ce qui nous appelle. On croit se protéger, mais en réalité on s’expose à un autre danger, plus silencieux : celui de passer à côté de sa vie.
Le courage, lui, n’est pas absence de peur. Il est consentement à la vulnérabilité, à l’inconnu, à la possibilité de la rencontre. Oui, le courage peut blesser, mais il garde vivant. Là où la prudence protège le connu, le courage ouvre l’espace du possible. Là où la prudence fige, le courage met en mouvement.
Et si aujourd’hui nous faisions un pas, même petit, du côté du courage ?
dimanche 7 septembre 2025
Quand l’histoire oublie le tiers : penser le Collège des Grands Lacs aujourd’hui
Le 25 septembre 2025, la communauté franco-ontarienne soulignera le 50ᵉ anniversaire de son drapeau, né à Sudbury en 1975. Ce symbole est devenu un repère identitaire fort, rappelant que les Franco-Ontariens ont dû se battre pour exister, pour se nommer et pour se doter de signes visibles de leur appartenance. Cette commémoration rappelle aussi que les luttes pour une gouvernance éducative autonome du par, pour et avec ont marqué les décennies suivantes. La création des collèges francophones s’inscrit dans cette dynamique : La Cité (1990), le Collège Boréal (1995) et, dans la même année, le Collège des Grands Lacs.
Si La Cité et Boréal sont encore bien vivants, reconnus et institutionnalisés, un silence pèse sur le Collège des Grands Lacs. Comme s’il n’avait jamais existé. Pourtant, il a bel et bien vu le jour, avec sa devise « Ouvert sur le monde, branché sur l’avenir », porté par une vision innovante : l’enseignement à distance technologique, trente ans avant son temps. Mais dans le jeu des polarités entre La Cité et Boréal deux collèges en rivalité sourde pour représenter la francophonie ontarienne, le Collège des Grands Lacs a incarné le tiers exclu.
Pour comprendre ce silence, il faut revenir à la tension entre l’institué et l’instituant. L’institué, ce sont les structures reconnues, stabilisées, consolidées par des ressources et une légitimité politique. L’instituant, c’est l’élan créateur, fragile mais nécessaire, qui ouvre des brèches vers d’autres possibles. Le Collège des Grands Lacs était de l’ordre de l’instituant non institué : audacieux, visionnaire, mais sans les appuis politiques et financiers pour durer. En face, l’institué, les 24 collèges consolidés, les rapports de force déjà établis, a eu raison de lui.
Et pourtant, ce qui ne s’est pas institutionnalisé continue d’agir. Comme une semence enfouie, le Collège des Grands Lacs a préparé le terrain pour d’autres innovations, pour une autre manière de penser la francophonie collégiale. Ce qu’on appelle aujourd’hui « formation à distance » ou « apprentissage hybride » était déjà inscrit dans son ADN. Ce qui semblait un échec n’était peut-être qu’un passage, une leçon de lucidité qui oblige à voir autrement.
Cette polarité n’est pas propre aux collèges. Elle traverse encore nos systèmes scolaires (public et catholique) et nos universités, partagées entre établissements francophones et institutions bilingues. Partout, l’instituant cherche à se frayer un chemin dans l’institué, mais il se heurte aux logiques de rivalité, aux luttes de pouvoir, aux financements polarisés. Et une question demeure : à qui profite cette division ? Certainement pas à la communauté, qui s’épuise dans des rapports de force au lieu d’unir ses énergies pour bâtir l’avenir.
Aujourd’hui, alors que nos institutions éducatives, du premier apprentissage à l’université, doivent se réinventer face aux défis technologiques, sociaux et communautaires, le message du Collège des Grands Lacs demeure actuel. Il nous rappelle qu’entre deux pôles de rivalité, il existe toujours un tiers possible, une voie nouvelle. Mais pour l’emprunter, il faut renoncer à la logique du rapport de force. Car « là où je renonce au rapport de force, l’amour circule ».
Trente ans plus tard, en regardant mon parcours, je sais que cette expérience de président fondateur a façonné mon regard. Elle m’a appris que même ce qui ne survit pas institutionnellement peut demeurer vivant comme mémoire, comme inspiration et comme appel. Dans ma recherche doctorale et dans mon accompagnement aujourd’hui, je continue de porter cette leçon : l’instituant ne se mesure pas seulement à ce qu’il institue, mais à la trace de vitalité qu’il sème dans nos communautés.
Quand l’amour qui traverse nous relie
Accompagner ne consiste pas seulement à offrir ses forces ou ses réponses : c’est avant tout apprendre à s’ouvrir à une source plus vaste que soi. Dans le silence, dans l’écoute partagée, l’agapè se manifeste comme une énergie de vie qui traverse et relie. Elle devient alors une ressource inépuisable, capable de transformer la fatigue en résonance et la vulnérabilité en dignité retrouvée.
Je me souviens d’un cercle de proches aidants, un soir d’hiver. La fatigue pesait sur les visages, et les mots étaient lourds. L’un d’eux partageait son sentiment d’impuissance devant la souffrance de son parent malade, et tout le groupe semblait retenir son souffle. J’aurais pu chercher une parole réconfortante, une « bonne réponse », mais rien ne venait. Alors, j’ai choisi de demeurer là, présent, dans ce silence partagé.
C’est alors que quelque chose a basculé. Non pas par mon effort, mais comme si une force subtile circulait entre nous. Une tendresse invisible s’est glissée dans le cercle. Le visage de la personne qui parlait s’est adouci, une larme a coulé, et les autres ont commencé à déposer eux aussi leurs fardeaux. Je n’avais rien « fait ». J’avais seulement accueilli cette circulation de vie, cet amour qui, selon Denis Marquet, ne vient pas de nous mais nous traverse : l’agapè.
Relire cette expérience à la lumière de ses mots me permet de comprendre qu’accompagner, ce n’est pas « donner de soi » jusqu’à l’épuisement. C’est s’ouvrir à cette source d’amour plus vaste, infinie, qui se manifeste précisément lorsque nous cessons de vouloir contrôler. L’agapè, dans ce moment, a été le point d’émergence : elle a transformé un espace de lassitude en lieu de résonance, de dignité retrouvée et de souffle partagé.