Le 25 septembre 2025, la communauté franco-ontarienne soulignera le 50ᵉ anniversaire de son drapeau, né à Sudbury en 1975. Ce symbole est devenu un repère identitaire fort, rappelant que les Franco-Ontariens ont dû se battre pour exister, pour se nommer et pour se doter de signes visibles de leur appartenance. Cette commémoration rappelle aussi que les luttes pour une gouvernance éducative autonome du par, pour et avec ont marqué les décennies suivantes. La création des collèges francophones s’inscrit dans cette dynamique : La Cité (1990), le Collège Boréal (1995) et, dans la même année, le Collège des Grands Lacs.
Si La Cité et Boréal sont encore bien vivants, reconnus et institutionnalisés, un silence pèse sur le Collège des Grands Lacs. Comme s’il n’avait jamais existé. Pourtant, il a bel et bien vu le jour, avec sa devise « Ouvert sur le monde, branché sur l’avenir », porté par une vision innovante : l’enseignement à distance technologique, trente ans avant son temps. Mais dans le jeu des polarités entre La Cité et Boréal deux collèges en rivalité sourde pour représenter la francophonie ontarienne, le Collège des Grands Lacs a incarné le tiers exclu.
Pour comprendre ce silence, il faut revenir à la tension entre l’institué et l’instituant. L’institué, ce sont les structures reconnues, stabilisées, consolidées par des ressources et une légitimité politique. L’instituant, c’est l’élan créateur, fragile mais nécessaire, qui ouvre des brèches vers d’autres possibles. Le Collège des Grands Lacs était de l’ordre de l’instituant non institué : audacieux, visionnaire, mais sans les appuis politiques et financiers pour durer. En face, l’institué, les 24 collèges consolidés, les rapports de force déjà établis, a eu raison de lui.
Et pourtant, ce qui ne s’est pas institutionnalisé continue d’agir. Comme une semence enfouie, le Collège des Grands Lacs a préparé le terrain pour d’autres innovations, pour une autre manière de penser la francophonie collégiale. Ce qu’on appelle aujourd’hui « formation à distance » ou « apprentissage hybride » était déjà inscrit dans son ADN. Ce qui semblait un échec n’était peut-être qu’un passage, une leçon de lucidité qui oblige à voir autrement.
Cette polarité n’est pas propre aux collèges. Elle traverse encore nos systèmes scolaires (public et catholique) et nos universités, partagées entre établissements francophones et institutions bilingues. Partout, l’instituant cherche à se frayer un chemin dans l’institué, mais il se heurte aux logiques de rivalité, aux luttes de pouvoir, aux financements polarisés. Et une question demeure : à qui profite cette division ? Certainement pas à la communauté, qui s’épuise dans des rapports de force au lieu d’unir ses énergies pour bâtir l’avenir.
Aujourd’hui, alors que nos institutions éducatives, du premier apprentissage à l’université, doivent se réinventer face aux défis technologiques, sociaux et communautaires, le message du Collège des Grands Lacs demeure actuel. Il nous rappelle qu’entre deux pôles de rivalité, il existe toujours un tiers possible, une voie nouvelle. Mais pour l’emprunter, il faut renoncer à la logique du rapport de force. Car « là où je renonce au rapport de force, l’amour circule ».
Trente ans plus tard, en regardant mon parcours, je sais que cette expérience de président fondateur a façonné mon regard. Elle m’a appris que même ce qui ne survit pas institutionnellement peut demeurer vivant comme mémoire, comme inspiration et comme appel. Dans ma recherche doctorale et dans mon accompagnement aujourd’hui, je continue de porter cette leçon : l’instituant ne se mesure pas seulement à ce qu’il institue, mais à la trace de vitalité qu’il sème dans nos communautés.
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