dimanche 21 septembre 2025

Intelligence émotionnelle et pratique sensible aux traumatismes : un chemin pour l’accompagnement communautaire

La recherche internationale montre que plus de 70 % des adultes dans le monde vivront au moins un événement potentiellement traumatique au cours de leur vie (Benjet et al., 2016; OMS, 2022). Accidents, violences, deuils, maladies graves : autant d’expériences qui bouleversent nos repères. Pourtant, seule une minorité développera un trouble de stress post-traumatique (PTSD). La différence tient souvent à la manière dont ces expériences sont reconnues et accompagnées.

C’est dans cette perspective que nous avons animé deux ateliers intitulés Intelligence émotionnelle pour une pratique sensible aux traumatismes. Ces rencontres ont permis d’explorer comment unir la recherche et l’expérience de terrain pour nourrir une posture d’accompagnement plus attentive, à la fois aux émotions individuelles et aux dynamiques communautaires.

L’intelligence émotionnelle comme ressource

Mayer et Salovey définissent l’intelligence émotionnelle comme la capacité à percevoir, comprendre et réguler ses émotions et celles des autres. Dans le contexte du trauma, ces compétences prennent une valeur particulière :

  • reconnaître les émotions de survie (peur, colère, repli, hypervigilance) comme des réponses adaptatives;

  • comprendre leur fonction;

  • aider à les réguler sans les juger ni les pathologiser.

Une pratique sensible au trauma repose aussi sur les principes de sécurité, confiance, choix, collaboration et empowerment (SAMHSA, 2014). Elle demande à l’accompagnant d’entrer dans une relation où la dignité de la personne est préservée, où la vulnérabilité est accueillie, et où la résonance (Rosa, 2018) peut se rétablir.

Trois apprentissages des ateliers

De nos ateliers, trois enseignements majeurs se dégagent :

  1. Ralentir pour accueillir : offrir un espace où le temps s’élargit, loin de la précipitation, devient déjà une forme de soin.

  2. Reconnaître la vulnérabilité comme force : ce qui paraît fragilité peut devenir un lieu d’humanité partagée.

  3. Réguler ses propres émotions comme accompagnant : sans conscience de soi, on risque la sur-implication ou la retraumatisation.

Ces apprentissages se sont incarnés dans de petits exercices pratiques : nommer une émotion présente, respirer ensemble, partager une expérience de soutien collectif. Des gestes simples, mais porteurs de transformation.

Vers une posture d’accompagnement communautaire

Comment intégrer ces enseignements dans la vie communautaire ?

  • Au niveau individuel : créer des cercles d’écoute sécurisants où chacun peut nommer ses émotions et retrouver des ressources intérieures.

  • Au niveau collectif : former les intervenants et bénévoles à la sensibilité au trauma. Les groupes peuvent devenir des espaces de régulation partagée et de résonance.

  • Au niveau institutionnel : plaider pour que les politiques publiques reconnaissent l’importance des dimensions émotionnelles et relationnelles de l’accompagnement, souvent négligées au profit de l’approche strictement fonctionnelle.

L’accompagnement communautaire se situe à l’interface entre la famille et les institutions. C’est un « tiers-espace » où la dignité peut être restaurée et où les communautés deviennent actrices de guérison.

Conclusion

Relier intelligence émotionnelle et pratique sensible aux traumatismes, ce n’est pas ajouter une méthode de plus, mais cultiver une manière d’habiter le lien. C’est reconnaître que les émotions ne sont pas des obstacles, mais des chemins vers la résilience et la dignité.

Dans une société où la vulnérabilité est trop souvent stigmatisée, l’accompagnement communautaire rappelle que nous pouvons faire de nos blessures une source de profondeur partagée. Là où l’intelligence émotionnelle rencontre la pratique sensible au trauma, se dessine une écologie du lien capable de soutenir la transformation, tant des individus que des communautés.


Références :

  • Benjet, C. et al. (2016). The epidemiology of traumatic event exposure worldwide.

  • OMS (2022). Post-traumatic stress disorder – Fact sheet.

  • Mayer, J. D., & Salovey, P. (1997). What is emotional intelligence?

  • SAMHSA (2014). Concept of Trauma and Guidance for a Trauma-Informed Approach.

  • Paul, M. (2004). La posture d’accompagnement.

  • Rosa, H. (2018). Résonance.

  • Fleury, C. (2019). Ci-gît l’amer.

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